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L’opinion d’Ibn Taymiyyah concernant les 4 écoles

 

Sheykh Mohammad Yasir Al-Hanafi

 

 

L’opinion d'Ibn Taymiyyah concernant les 4 écoles

 

 

Question : 

Quelle est l’opinion d’Ibn Taymiyyah concernant les 4 écoles de Jurisprudence?

Réponse : 

Bismillâhi ar-Rahmani ar-Rahim,

En page 263 du 14e volume de son ouvrage Majmu’ al-Fatawa, Al-Hāfidh Ibn Taymiyyah (rahimahuLlâh) mentionne que :

« Ceux qui suivent les écoles (ahl ul-Madhāhib), c’est-à-dire les Hanafis, les Malikites, les Shafé’ites, les Hanbalites, leur religion est UNE. »

En clair, il dit que ceux qui s’affilient aux Madhāhib et les suivent, leur religion est une seule et unique religion : l’ISLAM.

Donc, pour Ibn Taymiyyah, celui qui suit le madhhab Hanafi suit l’Islam, celui qui suit le madhhab Maliki suit l’Islam, celui qui suit le madhhab Shafé’i suit l’Islam, celui qui suit le madhhab Hanbali suit l’Islam.

Qui dit cela ? Al-Hāfidh Ibn Taymiyyah !

Il dit en outre que celui qui suit une de ces 4 écoles et qui obéit à Allâh et à Son Messager (salallâhou ‘alayhi wassalaam) selon sa capacité est un croyant chanceux (c’est-à-dire victorieux), avec le consensus et l’agrément des Musulmans.

Le savant Ibn Taymiyyah, que ces partisans nomment « Sheykh al-Islam » et qui est mort en 728 de l’Hégire ne mentionne nulle part ceux qui se font appeler « Salafis » ou « Ahl al-Hadith », il mentionne uniquement les 4 écoles.

Pourquoi ? La réponse est simple : ces deux groupes n’existaient pas à son époque.

Pour Ibn Taymiyyah, il est clair et évident que les 4 écoles et ceux qui les suivent, leur religion est UNE. En clair, celui qui suit une école, quelle qu’elle soit, suit l’Islam et sera inshaa Allâh victorieux (au Jour du Jugement) avec le consensus et l’agrément des Musulmans.

Qu’Allâh nous accorde at-Tawfiq et qu’Il nous renforce dans le suivi des écoles et qu’Il ta’ala nous protège de Shaytan et de ses alliés.

Wa Allâhou a’alam,
Wassalaam.

 

Retrouvez la vidéo originale sous titrée en Français sur notre page Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=CIId49RmOQ4

Qu’est qu’une école?

Pourquoi est-il nécessaire d’en suivre une? 

Par Sheykh Nuh Ha Mim Keller

 

Madhaab_Keller

 

 

« Les slogans que nous entendons aujourd’hui et qui parlent de « suivre le Qour’an et la Sunnah plutôt que de suivre les madhhab », visent à tromper les gens … Il s’agit en réalité d’un grand retour en arrière, ceci est un appel à abandonner les travaux Scientifiques minutieux des Savants Musulmans qui pendant des siècles ont étudiés et épluchés le Qour’an et de la Sunnah pour en déduire des avis. ».

Le mot « madhhab » est dérivé d’un mot arabe signifiant « aller » ou « prendre comme direction », et se réfère au choix que fait un imam mujtahid, sur une question particulière, lorsqu’il est face à un certain nombre de possibilités interprétatives, dans son travail d’extraction des commandements d’Allâh à partir des principaux textes du Qour’an et des Hadiths. Dans un sens plus large, un madhhab représente toute une école de pensée d’un imam mujtahid (tel que Abû Hanifa, Malik ibn Anas, ash-Shafi’i ou Ahmad ibn Hanbal) à laquelle s’ajoute de nombreux savants de premier rang qui sont venus après eux, dans chacune de ces écoles respectives et qui ont continué le job en vérifiant les preuves, en les affinant et en perfectionnant leur travail. Ainsi, les Imams mujtahid étaient des interprètes, qui ont rendus opérationnels dans nos vies le Qour’an et la Sunnah dans un ensemble de règles de Shari’ah, connues collectivement sous le nom de Fiqh (Jurisprudence). Le Fiqh ne représente qu’une partie de notre Religion (Deen), car la connaissance religieuse que chacun de nous possède est de trois types. Le premier type est la connaissance générale des principes de la Foi Islamique concernant l’Unicité d’Allâh, Ses anges, Ses Livres, Ses Messagers, la prophétie de Muhammad, etc. Chacun de nous peut tirer cette connaissance directement du Qour’an et des Hadith, comme c’est également le cas du second type de connaissance : celui qui concerne les principes généraux de l’éthique Islamique, qui commandent de faire le bien, d’éviter le mal, de s’entraider dans les bonnes œuvres, etc. Chaque musulman peut extraire (lui-même) du Qour’an et des Hadith ces principes généraux, qui forment la partie la plus large et la plus importante de sa religion. Le troisième type de connaissance est celui de la compréhension spécifique de certaines interdictions et commandements divins qui composent la Shari’ah. Ici, en raison de la nature et de la multiplicité des textes du Qour’an et des Hadiths impliqués, les gens divergent dans leur capacité scientifique, à comprendre et à en déduire eux-mêmes des décisions (Lois). Mais nous avons tous reçu l’ordre de pratiquer ces directives dans nos vies, dans l’obéissance à Allâh. Les Musulmans sont donc de deux types : ceux qui peuvent le faire par eux-mêmes, ce sont les Imams mujtahid, et ceux qui doivent le faire par l’intermédiaire d’un autre, c’est-à-dire en suivant un Imam mujtahid, conformément à la parole d’Allâh dans la sourate an-Nahl : 

« Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas. » [1], et dans la sourate An-Nisa : « S’ils la rapportaient au Messager et aux détenteurs du commandement parmi eux, ceux d’entre eux qui cherchent à être éclairés, auraient appris (la vérité de la bouche du Prophète et des détenteurs du commandement) » [2], dans laquelle l’expression « aux détenteurs du commandement », exprimant les mots « alladhina yastanbitunahu minhum », se réfère à ceux qui possèdent la capacité de tirer des conclusions directement à partir de la preuve, ce qu’on appelle en arabe « istinbat ». Ces versets et d’autres, ainsi que des Hadiths obligent le croyant qui n’est pas au niveau de l' »istinbat », c’est-à-dire capable de tirer des conclusions directement du Qour’an et des Hadiths, à poser ses questions à quelqu’un qui à ce niveau et à le suivre dans de telles décisions. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Allâh nous a obligés à demander à des experts, car si chacun d’entre nous était personnellement responsable de l’évaluation de tous les textes primaires relatifs à chaque question, une vie d’étude ne suffirait pas pour cela, et l’on serait contraint à choisir entre renoncer à gagner sa vie ou abandonner le Deen, c’est pourquoi Allâh dit dans la sourate at-Tawbah, dans le cadre du djihad :

« Mais il n’est nullement souhaitable que les croyants partent tous en expédition. Il serait bon que, de chaque groupement, un certain nombre d’hommes s’emploient à parfaire leur éducation religieuse, afin d’en faire profiter leurs compagnons après leur retour, et de les amener ainsi à se tenir sur leur garde. » [3] 

Les slogans que nous entendons aujourd’hui et qui parlent de « suivre le Qour’an et la Sunnah plutôt que de suivre les madhhab », visent à tromper les gens, car de toute manière nous sommes tous d’accord sur le fait que nous devons suivre le Qour’an et la Sunnah du Prophète. Le fait est que le Prophète n’est personnellement plus en vie pour nous enseigner (ndt : l’Islam), et tout ce que nous avons de lui, que ce soit les Hadiths ou le Qour’an, nous a été transmis par les savants de l’Islam. Donc, la question n’est pas de savoir si oui ou non nous devons prendre notre Deen des savants, mais plutôt de quels savants devons-nous le prendre. Et c’est la raison pour laquelle en Islam nous avons les madhhabs : parce que l’excellence et la supériorité des Imams mujtahid a été associée au travail des savants traditionnels qui ont suivi leurs écoles et qui après eux ont évalués et améliorés leur travail et parce que cet ensemble a rempli les conditions de l’investigation scientifique et gagné la confiance de pensée et de pratique des Musulmans de tous les siècles qui composent la grandeur Islamique. 

La raison pour laquelle les madhhab existent (leur bénéfice passé, présent et futur), c’est qu’ils fournissent des milliers de réponses fiables, basées sur la Science, qui permettent aux Musulmans de trouver des réponses aux questions qu’ils se posent sur la manière dont ils doivent obéir à Allâh. Les Musulmans ont compris que suivre un madhhab signifie suivre un savant exceptionnel, possédant non seulement une connaissance approfondie des textes du Qour’an et des Hadiths en rapport à chacune des questions sur lesquelles il a été amené à émettre un avis, mais ayant également vécu à une époque proche de celle du Prophète et de ses Compagnons, époque où la taqwa -la crainte d’Allâh- était la norme -. Deux critères en opposition saisissante à ce qu’on peut trouver aujourd’hui chez les savants.

Si l’appel à un retour au Qour’an et à la Sunnah est un slogan attrayant, il s’agit en réalité d’un grand retour en arrière, ceci est un appel à abandonner les travaux Scientifiques minutieux des Savants Musulmans qui pendant des siècles ont étudiés et épluchés le Qour’an et de la Sunnah pour en déduire des avis. C’est un travail colossal, très sophistiqué, qui résulte de l’effort interdisciplinaire des mujtahids, des spécialistes du Hadith, des exégètes Coraniques, des lexicographes, et d’autres maîtres des sciences juridiques Islamiques. Abandonner les fruits de cette recherche, la Shari’ah Islamique, pour suivre des shouyoukhs contemporains qui, malgré leurs prétentions, ne sont pas au niveau de leurs prédécesseurs, revient à vouloir remplacer quelque chose de prouvé et d’éprouvé pour quelque chose de douteux.

Le discours qui promeut le suivi de la Shari’ah sans suivre de madhhab particulier est comparable à une personne qui va chez un vendeur d’automobiles pour acheter une voiture, tout en insistant pour que celle-ci ne soit pas d’une marque reconnue – ni une Volkswagen, ni une Rolls-Royce, ni une Chevrolet – mais plutôt pour que celle-ci soit « une voiture, purement et simplement ». Une telle personne ne sait pas vraiment ce qu’elle veut ; les voitures présentent sur le parking ne tombent pas du ciel. Il est probable que le vendeur esquisse un léger sourire, tout en soulignant que des produits sophistiqués proviennent de moyens de production sophistiqués, d’usines disposant d’un département d’étude, d’un personnel qualifié qui teste et d’autres collaborateurs qui produisent et qui assemblent les nombreuses parties du produit final. C’est la nature de ces efforts collectifs humains qui permet de produire quelque chose de largement supérieur à ce que nous ferions si nous devions nous en charger nous-mêmes (élaborer et construire cette voiture) en partant de zéro, même si on nous donnait une usine métallurgique et des outils, et que nous disposions de que cinquante ans, voire même d’un millier d’années. Et il en est de même de la Shari’ah, qui est beaucoup plus complexe que n’importe quelle voiture, car celle-ci traite de l’univers des actions humaines, ainsi que d’un vaste éventail d’interprétation des textes sacrés. C’est pourquoi rejeter la Science monumentale des madhhab, lesquels ont rendu opérationnels le Qour’an et de la Sunnah, en vue d’adopter à la place (ndt : sa propre) compréhension ou celle d’un sheykh contemporain n’est pas seulement une opinion erronée. Cela revient à détruire une Mercedes pour en faire un déambulateur !

Notes : 

[1] Qour’an 16:43
[2] Qour’an 4:83
[3] Qour’an 9:122

Est-il permis de piocher et mélanger entre les quatre Ecoles ?

Par  Sunnisme.com [1]

 

Taqlid

 

« Demandez aux gens de savoir si vous ne savez pas » [2]

Comme Allâh le mentionne dans le Qour’an, notre but est d’adorer Allâh : « Je n’ai créé les Djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent » [3]. Il nous a créés et nous a ordonné de faire certaines actions et de s’abstenir de certaines autres. Afin de lui obéir, nous avons besoin de savoir ce qu’Il exige et attend de nous. D’où l’importance de la Connaissance Sacrée.

En termes de Fiqh (connaissance de la Jurisprudence de la Loi Sacrée), les Musulmans se divisent en deux catégories. Ils sont soit Mujtahids [4], soit Muqallids (ce qui signifie qu’ils ne possèdent pas les qualifications suffisantes et doivent donc recourir à un mujtahid pour savoir quelle est la bonne règle à suivre). Aucun Musulman ne contestera le fait que nous devons tous suivre le Qour’an et la Sunnah, la question est plutôt : est-on suffisamment qualifié pour tirer les décisions Juridiques par nous-mêmes, ou devons-nous nous tourner vers ceux qui sont qualifiés et autorisés à le faire? Il est évident que l’immense majorité des Musulmans se trouve dans la seconde catégorie.

La notion d’autorité n’est pas difficile à comprendre. Aucune société ne permettrait à quelqu’un de pratiquer une opération chirurgicale sans avoir d’abord fait des études de médecine et avoir obtenu les diplômes nécessaires à sa pratique. Aucune société ne permettrait non plus à quiconque de construire un pont sans avoir d’abord obtenu un diplôme en génie civil. Dans le cas contraire, on peut aisément imaginer les désastres que cela entrainerait.

Il est illicite (haram) pour un muqallid de tenter l’ijtihad [5] et c’est un péché, même s’il finit par arriver à la bonne conclusion.

Le Prophète (salallâhou ‘alayhi wasslaam) a dit : « Celui qui interprète le Qour’an selon son avis personnel, il commet une erreur même si ce qu’il a dit est correct ». [6]

Le Prophète a également dit : « Les juges sont de trois types : deux d’entre eux iront en enfer, et un au paradis. Un homme qui connaît la vérité et qui juge en fonction d’elle, il ira au paradis. Un homme qui juge entre les gens alors qu’il est ignorant, il ira en enfer. Et un homme qui connaît la vérité, mais qui juge injustement, il ira en enfer ». [7]

L’Imam al-Sindi رحمه الله dit dans son commentaire des Sunan d’Ibn Majah : « La généralité des termes « Un homme qui juge entre les gens alors qu’il est ignorant’ inclut le cas où cet homme juge correctement. Une telle personne mérite le feu pour avoir eu l’audace de faire cela sans connaissance ».

Les lois d’Allâh ne sont pas quelque chose avec lesquelles nous pouvons jouer et seuls ceux qui sont qualifiés pour effectuer l’ijtihad (l’effort de réflexion et d’interprétation) ont la permission de fouiller dans les preuves primaires afin d’en déduire si quelque chose est halal ou haram. La personne non qualifiée doit demander à celle qui l’est. Un mujtahid est au muqallid ce que le Qour’an et la Sunna sont au mujtahid.

Pour connaitre la règle Juridique à suivre sur une question particulière, nous devons recourir aux livres de Fiqh des quatre écoles, et non pas aux livres de Hadiths comme les Sahih d’al-Bukhari ou de Muslim (sans parler des soi-disant mujtahids de notre époque). Passer par quelqu’un qui comprend ce qu’ils disent est la seule façon correcte de vraiment suivre le Qour’an et la Sunnah.

Les quatre écoles de droit Sunnites sont toutes aussi valides les unes que les autre. Le choix est une question de préférence personnelle et de circonstances :

Il faut prendre en compte l’ensemble des points suivants :

1) Quels madhhab vous pouvez correctement apprendre, compte tenu de vos circonstances de vie (lieux, facilité d’accès, emploi du temps, etc.).

2) De quel madhhab vous pouvez le plus aisément obtenir les réponses à vos questions (facilité d’accès à un sheykh ou aux personnes affiliées à l’école).

3) Quelles sont vos inclinations personnelles et considérations de vie en général (comme les antécédents familiaux (famille adhérent à une école), communautaires, etc).

Le consensus autour de l’obligation pour le non mujtahid de recourir au suivi d’une école (taqlid) est rapporté par de nombreux grands Imams tels que Ibn ul-Qayyim dans A’lam al-muwaqi’in ‘an rabb al-‘alamin ou Shah Waliullâh al-Muhaddith Dehlwi dans un de ses ouvrages.

En suivant une école, le muqallid se décharge de sa responsabilité devant Allâh. Peu importe tous les Hadiths avec lesquels les Salafis et autre réformateurs pourraient tenter de l’en dissuader, il lui suffit de répondre par la Parole d’Allâh : « Demandez aux gens de Savoir si vous ne savez pas » [8]. Ceux qui s’obstinent à mettre de côté les écoles (madhhab) et préfèrent suivre leur propre jugement prennent le risque direct de tomber sous le coup de la malédiction Prophétique : « Ils l’ont tué, qu’Allâh les tue ! Pourquoi n’ont-ils pas demandé s’ils ne savaient pas ? » [9].

Voilà le risque que l’on prend lorsque l’on mélange entre les écoles, car en agissant de la sorte, on arrive souvent au final à des positions erronées et invalides. Chacune des 4 écoles à ses propres fondements (Usul) qui permettent de tirer des règles juridiques à partir entre autres du Qour’an et de la Sounnah de Rassoul Allâh, il est donc incohérent et risqué de vouloir piocher et mixer entre les avis de ces écoles.

En mélangeant (talfiq) les différents avis, on risque de se retrouver avec une pratique qui ne soit valable selon aucune des 4 écoles.

Il existe plusieurs types de mélange, on peut citer entre autres :

A/ Le type de talfiq qui consiste à mélanger des actes qui n’ont pas de liens directs entre eux, par exemple le jeûne selon l’école Hanafite et la prière selon l’école Malikite. Ce type de Taqlid est permis selon la majorité des savants, bien qu’il soit plus correct et cohérent de suivre son école de bout en bout.

B/ Le type de talfiq, consistant à mélanger plusieurs écoles dans le même acte, mais de manière à ce que l’action finale soit acceptable dans au moins une école. Par exemple, placer ses mains sur la poitrine dans la prière comme un Hanafite tout en effectuant le reste de la prière selon l’école Malikite. Les savants divergent néanmoins quant à la permissivité de ce talfiq.

C/ Le type de talfiq consistant pour un seul et même acte à mélanger entre deux écoles de manière à ce que l’acte final ne soit valide selon aucune école. Par exemple, faire ses ablutions selon l’école Shafé’ite en n’essuyant qu’une partie de la tête, ensuite toucher (une partie du corps d’) une femme en considérant les ablutions toujours valables selon l’école Malikite. Ceci donne des ablutions invalides dans les deux écoles : Invalide chez les Shafé’ite car annulée par le toucher de la femme. Invalide chez les Malikites car non-essuyage total de la tête. Ce genre de mélange est strictement interdit.

Sheykh Amjad Rasheed dit à propos de cela :

« La preuve de l’illégalité de ce type de talfiq est claire. La personne qui rassemble deux avis est soit un mujtahid dont l’ijtihad l’a mené à cette position, ou alors il n’est pas un mujtahid, mais seulement un suiveur (muqqalid). Dans la terminologie des spécialistes des Usul (fondements de la Jurisprudence), un disciple est une personne qui n’est pas un mujtahid, c’est-à-dire qui n’est pas en capacité d’émettre des avis Juridiques Islamiques et ce même s’il a atteint un niveau élevé de connaissance et de Fiqh. Le mujtahid n’est pas obligé de suivre quelqu’un, quelle que soit la conclusion à laquelle il parvient grâce à son ijtihad, il doit la suivre. Quant au disciple, il doit suivre un Imam mujtahid. De ce fait, quand un suiveur fait un acte de culte ou conduit des affaires tout en combinant entre deux écoles ou plus, il a inventé pour lui-même une nouvelle école de pensée, alors qu’il ne fait même pas partie des gens aptes à l’ijtihad.

Ainsi, il n’agit pas selon une école à laquelle il est attaché, parce que si cette personne interrogeait chacun des Muftis dont il suit la position [en assemblant les actes] à propos de l’acte de culte entier [une fois rassemblé], ou de ce qu’il a entrepris, aucun Mufti ne serait pas en mesure de donner une fatwa accréditant la validité de son action, car qu’en agissant ainsi, la personne viole quelque chose qui représente une condition pour qu’il puisse valider l’acte. Et c’est jouer avec la religion, comme l’a écrit l’érudit ‘Abd al-Ghani al-Nabulsi [10] ».

D/ On peut également citer le type de talfiq consistant à assembler deux actes distincts, mais qui sont liés entre eux.

Prenons un exemple dans lequel une personne va suivre l’école Shafé’ite dans la petite ablution (wudhu) et l’école Malikite dans la prière (Salat). Cette personne fait le wudhu selon l’école Shafe’ite où le frottement [11] n’est pas une condition de validité de l’ablution. Et puis toujours en accord avec l’école Shafé’ite elle passe les mains mouillées sur une petite partie des cheveux (une mèche par exemple), car cela est suffisant dans ce madhabb. Ensuite, cette personne décide d’accomplir la salat selon l’école de l’Imam Malik (radhia Allâhou ‘anhou).

Le premier problème qui se pose, c’est que dans l’école Malikite, les règles du wudhu ne sont pas les mêmes. Ainsi chez les Malikites, le frottement fait partie intégrante des obligations (al-fara’id) de l’ablution mineure. En clair, chez les Malikites, si on ne frotte pas les parties concernées par le wudhu, ce dernier n’est pas valable. De même, toujours chez les Malikites, passer ses mains mouillées sur une petite mèche de cheveux n’est pas suffisant, la zone du crâne qui doit être « essuyée » ou « frottée » pour que l’ablution soit valable se situe du haut du front (racine des cheveux) jusqu’à la nuque.

Cette personne s’apprête maintenant à effectuer sa Salat selon l’école Malikite, avec une ablution qui est donc invalide selon cette même école.

De plus, cette personne va commencer sa Salat en récitant la Sourate al-Fatiha, sans la Basmala, car selon l’avis mashhour [12] de l’école Malikite, elle n’est pas à prononcer. Un deuxième problème se pose alors : Selon l’école Shafé’ite, si la personne ne prononce pas la Basmala, sa Salat est invalide.

En clair, en mixant à sa guise entre les écoles, cette personne aura fait une ablution non valide selon l’école Malikite et une prière non valide selon l’école Shafé’ite. Voilà à quoi mène ce genre de mélange et le pire c’est que bien souvent ceux qui s’y adonnent ne s’en rendent même compte !

Ce n’est pas pour rien si les savants de la Oumma dans leur majorité et parmi eux de très grands ‘Ulamas ont suivi une (seule) école de Jurisprudence. Et ils s’y sont tenu, malgré l’immense étendue de connaissance qu’ils possédaient. Serions-nous plus érudit et plus pieux que ces gens là pour aller là où ils se sont abstenus d’aller ?

Rien que chez les Shafe’ites, on peut citer comme savants ayant appartenus à cette école : L’Imam Al-Ghazaly, Ibn Khouzayma, Taqiy-ud-Dîn As-Subki, Ibn Hajar Al-‘Asqalani, Ibn Hajar Al-Haytami, l’Imam An-Nawawi, L’Imam Al-Boukhari, Al-Muzani, As-Suyuti, Al-Bayhaqi, An-Nasaa’i, et des milliers d’autres.

Comme nous l’avons vu plus haut, il est cependant parfois autorisé dans de rares cas de prendre l’avis d’une autre école que la sienne. Mais, il est important de souligner que les savants ont posé deux conditions pour celui qui désire prendre les avis d’un autre madhhab :

1) Ne pas rechercher la facilité (ar-rukhsa) dans chaque madhhab sur chaque question, c’est-à-dire ne pas naviguer entre les avis en cherchant la rukhsa de chaque école.

2) Si l’on prend un avis d’une autre école, il faut s’assurer que cet avis soit le plus fort dans cette école (al-mashhour) et surtout bien comprendre l’avis avec tous ses statuts légaux (ahkam). C’est-à-dire que si on fait le wudhu selon l’école hanafite, il faut bien connaître tout ce qui concerne les ahkam al-wudhu, par exemple, tout ce qui annule le wudhu selon les hanafites (cf. l’exemple donné plus haut).

Lorsque l’on a interrogé Sheykh Gibril Fouad Haddad sur la validité ou non de mixer entre les avis dans le but de rendre la religion plus facile, il a répondu :

« Même si nous partons du principe que les 4 écoles sont toutes aussi correctes les unes que les autres, sur toutes choses en tout temps, il reste que chacune d’entre elles arrive à ses conclusions par le biais d’une méthode précise et soigneusement réglée. Notre « piochage » et « mixage » rendrait cela incohérent et au final rien de ce que entreprendrions n’appartiendrait à une des 4 écoles, mais plutôt à une espèce de 5ème ou 6ème issue de notre propre conception. C’est ce qu’on retrouve dans l’attitude et les croyances de ceux qui rejettent les écoles (la-madhaabi) et chez les syncrétistes laxistes (perenialistes). »

L’Imam Ibn Hajar al-Haytami a dit : « Quiconque fait le suivi (taqlid) d’un Imam sur une question, doit se conformer aux exigences de son madhaab sur cette autre question et tout ce qui est lié à celle-ci. » [13]

Si certains savants comme l’Imam Yéménite Ibn Ziyad al-Shafi’i acceptent le mélange entre les écoles (wudhu d’une école et salat d’une autre par ex.) car c’est une facilité pour les gens du commun (awamm), il n’en demeure pas moins que comme le rappel le grand savant ‘Abd al-Rahman al-Mashhur, la position d’ibn Hajar (citée ci-dessus) est la plus précautionneuse. [14]

S’en tenir à une école permet de garder une cohérence de ne pas prendre le risque de mélanger les avis n’importe comment et de tomber dans le blâmable ou l’interdit.

C’est pour cette raison que le Mufti Mahmoud Hassan Sahib Gangohi a fermement stipulé l’interdiction de ce genre de pratiques en disant :

« Il est interdit de suivre un Imam (c.-à-d. une école) et de changer d’Imam selon ses désirs. Quand cela est fait sans permission de la Shari’ah, cela conduit la personne au mélange (talfiq), ce qui l’encourage à suivre ses désirs, l’éloigne de la vérité et l’égare ». [15]  

Wa Allâhou a’alam.

 

Notes :

[1] Article réalisé par Sunnisme.com et supervisé par les Fuqaha d’Aslama, baraka Allâhou fikoum.
[2] Qouran, S16 / V43
[3] Qouran, S51 / V56
[4] Le Mujtahid est le savant reconnu par ses pairs, ayant atteint un niveau d’érudition très avancé, lui permettant de prononcer une interprétation personnelle (ijtihâd) sur un point de droit dans l’Islam. Peu de savants ont atteint ce niveau, on compte parmi les plus connus, des Imams comme Abou Hanifa, Malik ibn Anas, Ahmad ibn Hanbal ou ash-Shafé’i. On estime qu’aujourd’hui il n’existe pas de savants Mujtahid, c’est pourquoi les ‘Ulamas des écoles se réunissent en comité afin de réunir leurs compétences pour étudier les questions nouvelles.
[5] L’ijtihâd est le jugement résultant de la réflexion du mujtahid.
[6] Rapporté par At-Tirmidhi
[7] Rapporté par Abu Dawud, at-Tirmidhi, Ibn Majah
[8] Qour’an, S16 / V43
[9] Hadith rapporté par Abu Dawud, Ibn Majah, Ahmad, et Darimi. Ce hadith évoque le cas d’un homme à qui les Compagnons recommandèrent l’ablution à base d’eau malgré le fait qu’il soit blessé, alors qu’il existait d’autres solutions qu’ils ignoraient comme de faire le Tayamum.
[10] ‘Abd al-Ghani al-Nabulsi, dans son livre « Khulasa al-bayan fi Tahqiq hukm al-taqlid wa al-talfiq » (p. 56).
[11] Le frottement : consiste à frotter avec la main les parties concernées par le wudhu
[12] L’avis mashhour est l’avis le plus répandu dans l’école.
[13] L’Imam Ibn Hajar al-Haytami dans I’atu’l-talibin, 4.219
[14] ‘Abd al-Rahman al-Mashhur, dans Bughyat al-Mustarshidin (p.9).
[15] Par ailleurs, il faut souligner qu’il est tout à fait autorisé lors de la prière effectuée en groupe de suivre un imam priant selon une école différente de la nôtre. Ce sont là deux sujets compléments différents.

 

Si le Hadith est authentique, c’est mon Madhaab


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Islam_

Question :

Les Imams des Madhaabs (écoles) ont déclaré : « Si le Hadith est authentique, alors il s’agit de mon madhaab ». Par conséquent, si nous trouvons un Hadith dans Al-Bukhari et Muslim, contredisant notre madhaab, nous devons agir selon le Hadith et délaisser l’avis de notre madhaab. C’est bien cela ?

Réponse :

Cette déclaration est fréquemment utilisée, mais hélas bien souvent mal comprise ou mal interprétée par des groupes qui vulgarisent à outrance les Sciences Religieuses.

L’ensemble des Imams des madhaab [1] ont dit que si leur avis contredit un Hadith, alors le Hadith doit être suivi et leur avis mis de côté. Cependant, lorsqu’ils ont déclaré cela, ils parlaient à leurs élèves qui étaient des savants et non à l’homme du commun et encore moins à quelques jeunes occidentaux vivant 1200 ans plus tard, n’ayant aucune connaissance de l’étendue des sciences de la Shari’ah.

Voici comment cette déclaration émise par ces grands Imams a été comprise par les grands savants du passé.

Ibn Abidine déclare dans « al-Hashiyah » (1/68) :

« Ceci est également rapporté des quatre Imams par l’Imam ash-Sharani. Et il n’est pas caché que c’est adressé à celui qui est qualifié pour analyser les preuves et possède la connaissance du muhkam (clarté) de son mansukh (abrogation). Donc, si les savants d’un madhaab analysent une preuve et agissent ensuite en accord avec le résultat de cette analyse, il est correct de l’attribuer à un madhaab, car cela est alors émis avec la permission du fondateur du madhaab, car il n’y a aucun doute que s’il avait eu connaissance de la faiblesse de sa preuve, il se rétracterait et suivrait la preuve la plus solide ».

Ibn Abidine stipule ici clairement que seuls les savants sont compétents et autorisés à agir dans ce domaine non l’homme du commun.

L’illusion de la Science.

Sheykh Abd al-Ghaffar Uyun As-Sud a retranscrit dans « Daf al-Awham » (p.15) les conditions stipulées par Ibn Abideen permettant de suivre le Hadith et de délaisser le madhaab :

« C’est une bonne prescription, car à notre époque nous voyons beaucoup de gens qui ont en eux l’illusion de la connaissance, pensant qu’ils sont au-dessus des étoiles, alors qu’ils se trouvent au niveau le plus bas. Peut-être ce type de personne a lu l’un des six livres – par exemple – puis elle tombe sur un Hadith qui rentre en contradiction avec le madhaab d’Abou Hanifah.  Cette personne dit alors : « quitte le madhaab d’Abou Hanifah … et prend le Hadith du Messager d’Allâh SAW ! Alors qu’il se peut que ce Hadith soit abrogé ou contredise ce qui est plus fort que lui en termes de chaine de transmission (Sanad), ou bien encore qu’il fasse partie des choses dont on ne tient pas compte. Cette personne n’a pas connaissance de cela, car elle n’a pas les compétences nécessaires lui permettant de faire le tri. S’il était permis que ce type de personne agisse sans restriction sur la base de Hadiths, ils seraient égarés dans de nombreuses questions juridiques et ils égareraient ceux qui viendraient leur poser des questions ».

Comme le dit le Sheykh, combien de ces gens trompés existe-t-il à notre époque? Ceux qui nous disent de prendre tel Hadith et de délaisser le l’avis du madhaab, alors qu’en même temps ils ignorent les bases les plus élémentaires de l’école et de la Shari’ah?

L’Imam An-Nawawi a dit :

« Ce qu’a dit l’imâm Ash-Shafé’i ne signifie pas que quiconque voit un hadith Sahih doit dire « C’est le madhaab Ash-Shafé’i ! », en appliquant simplement le sens littéral ou la signification apparente de cette parole. Ce qu’il a dit s’applique très certainement uniquement aux personnes qui ont le rang de l’ijtihad dans le madhaab. Et ceci, à condition que la personne soit fermement convaincue que l’imam Ash-Shafé’i n’avait pas connaissance soit de l’existence du hadith, soit de son authenticité. Et cela n’est possible qu’après avoir recherché dans tous les livres Ash-Shafé’i et dans d’autres ouvrages similaires de ses compagnons, ceux qui ont pris de lui leur science et d’autres personnes similaires ». [2]

C’est certainement une condition difficile à remplir. Peu sont ceux en qui nous retrouvons ses compétences à notre époque. Ce que nous avons expliqué comportait des conditions, car l’Imam Ash-Shafé’i a cessé d’agir selon le sens apparent de nombreux hadiths (preuves), qu’il considérait [authentiques] et connaissait. Cependant, il a établi des règles pour critiquer les hadiths ou leur abrogation ou leur circonstance spécifique ou leur interprétation et ainsi de suite.

Ainsi, quiconque parmi les Shafé’ites trouve un hadith qui contredit son Ecole doit examiner s’il est absolument accompli [en terme de compétence] dans toutes les disciplines de l’ijtihâd, ou sur ce sujet en particulier, ou des questions spécifiques. Si c’est le cas, alors il est en droit de l’appliquer de façon indépendante. Dans le cas contraire, s’il trouve qu’aller à l’encontre du Hadith lui pèse – après avoir recherché et n’avoir trouvé aucune justification pour le faire – alors il devrait l’appliquer si un autre Imâm indépendant (mujtahid) qu’Ash-Shafé’i l’a appliqué. C’est dans ce cas une bonne raison pour lui de quitter l’avis du madhaab de son Imâm.

L’Imam Taqi As-Soubki a écrit un traité appelé « Maana Qawl Imam al-Muttalibi » dans lequel cette question du suivi des Hadiths et des Madhaab est largement traitée et expliquée. Il a retranscrit au début les paroles de l’Imam Ibn Salah et de l’imam An-Nawawi (RA) et a dit :

« Ceci confirme qu’il est difficile d’atteindre ce rang et que tout un chacun devrait prendre garde à ne pas être trompé par cela ».

Prêtez attention à la façon dont l’Imam As-Soubki déclare clairement à quel point il est difficile d’atteindre le rang et la position permettant d’agir conformément à cette déclaration des fondateurs des Madhaabs, et aussi qu’il ne faut pas se leurrer en s’imaginant suffisamment qualifié pour agir selon le Hadith en délaissant le madhaab.

Discutant de cette déclaration, Sheykh Yusuf Bin Isma’il Nibhaani a dit :

« En vérité, la déclaration suivante : « Quand le Hadith a été authentifié, alors il s’agit de mon Madhaab » a été rapportée de chacun de ces quatre Imams qui étaient exempts de l’opinion personnelle. En vérité, cette déclaration ne s’adresse à personne d’autre qu’à leurs compagnons (Ashaab), c’est-à-dire les Juristes (Fuqaha) des écoles qui étaient de grands et illustres Aimmah (Imams) pleinement qualifiés dans les sciences rationnelles et narratives de la Religion (Deen). La déclaration est dirigée vers ceux qui sont venus après ces illustres Aimmah parmi les grands ‘Ulémas de leurs Madhaab, c’est-à-dire ceux qui étaient les Ahl ut-Tarjeeh (les sommités). Chacun d’entre eux, qui étaient les Hafidhin du Hadith de Rassouloullâh , avait une pleine connaissance des dalils (preuves) de tous les Madhaab. En vérité, c’est à eux que s’adressait cette déclaration, car ils (ces grands Fouqahas) sont capables de concilier entre le Hadith à partir duquel l’Imam a tiré la preuve et le Hadith (venu après) qui a été établi comme authentique après l’Imam. Ils (ces illustres Fouqahas) peuvent voir lequel des deux Hadiths est le plus authentique, le plus fort et lequel des deux hadiths est venu le plus tard, car celui qui vient le plus tard peut être le Naasikh (l’abrogateur) du précédent ».

Comme nous l’avons dans ces diverses citations, le fait qu’un Hadith soit authentique n’est pas suffisant pour permettre à l’homme du commun d’agir selon celui-ci, car il existe de nombreux autres critères que seuls les savants les plus érudits sont capables de prendre en compte.

D’ailleurs, un Hadith peut être Sahih et ne pas être suivi, et ce, pour plusieurs raisons.

Il peut par exemple être authentique (Sahih), mais abrogé. Al-Hafidh Ibn Hajar déclare dans « Fath Al-Bari » (1/413) :

« Et combien de Hadiths sont mansukh (abrogé) mais sont Sahih en termes de critères d’authentification ».

Un Hadith peut induire en erreur ceux qui n’ont sont pas experts.

L’imam Al-Hafidh Ibn Abd al-Barr rapporte du Qadi al-mujtahid Ibn Abi Lailah qu’il a dit :

« Nous en suivons quatre dans la connaissance : deux en Egypte et deux à Médine. Laith bin Saad et Amr bin al-Harith en Egypte, et Malik et al-Majishun à al-Madinah, et sans eux, nous aurions été égarés ».

Khatib al-Baghdadi rapporte dans « Al-Faqih wal Mutafaqqih » (2:80) :

« Un homme posa une question à Ibn Uqdah à propos d’un Hadith, il lui dit alors : Ne t’occupe pas de ces Hadiths, car ils ne sont bons que pour celui qui en connaît l’explication (Tawil), et Yahya bin Suleiman rapporte d’Ibn Wahb qu’il a dit : J’ai entendu Malik dire : Un grand nombre de ces hadiths sont source d’égarement… ».

Il est obligatoire de consulter les juristes (fuqahâ) pour la compréhension du Hadith.

Al-Khatib rapporte dans « al-Faqih wal Mutafaqih » (2:15-19), une longue déclaration de l’Imam Al-Muzani qui était l’un des plus brillants élèves de L’Imam Ash-Shafé’i. A la fin, Al-Muzani déclare :

« Alors, regardez – puisse Allâh avoir pitié de vous – les Hadith que vous avez compilés, et cherchez la connaissance avec les gens du Fiqh afin que vous puissiez devenir des Juristes (fuqahâ) ».

Chez les Malikites, l’un des critères permettant de délaisser un Hadith est la pratique du peuple de Médine (ahl ul-Madinah).

L’imam Abi Zaid al-Qairawani Al-Maliki (d.386) a expliqué la position des Salaf quant au fait d’agir selon certains hadiths et de ne pas agir selon les autres et que tout ce qui est Sahih ne doit pas forcément être mis en pratique. Il a dit dans « Kitab al-Jami » (p.117), tandis qu’il énumère les croyances d’Ahl al-Sunna :

« On doit se soumettre à la Sunnah. Ils (les Salafs) ne doivent pas être contredits par l’opinion personnelle et ne peuvent pas à être contestés par le raisonnement analogique. Leur interprétation est notre interprétation, leurs actions sont nos actions, et ce qu’ils ont abandonné, nous l’abandonnons […] ».

L’Imam Malik ibn Anas a dit :

« La pratique (des gens de Médine) est plus solidement établie que le Hadith. Le frère de Muhammad Ibn Abi Bakr Ibn Hazms lui a dit : « Pourquoi n’émettez-vous pas un avis en fonction de ce Hadith ou encore de celui-ci? ». Il répondit : « Je n’ai pas trouvé de gens qui pratiquent selon ce Hadith ».

Les Salafs imitent les Compagnons, même si extérieurement cela semble contredire le Hadith.

Ibrahim an-Nakhai dit :

« Si j’avais vu que les Compagnons allaient jusqu’aux poignets dans leurs ablutions, j’aurais fait la même chose, même si j’avais lu qu’ils allaient jusqu’au coude ».

Et dans « al-Hujjah fi Bayan al-Mahajjah », Abul Qasim al-Taymi al-Asbahani (2:401) rapporte que Ibrahim An-Nakhai a dit :

« S’ils avaient uniquement lavé leurs ongles, nous n’aurions pas lavé davantage … ».

L’Imam Ahmad a dit de l’Imam Ash-Shafé’i qu’il suffit comme preuve.

L’Imam Al-Bayhaqî dans « Ash-Shafé’i Manaqib » (2:154) rapporte que l’Imam Ahmad a dit :

« Hammad bin Ahmad al-Basri a dit : J’étais avec Ahmad Ibn Hanbal et nous discutions d’une question, un homme dit à Ahmad : Ô Abou Abdallâh il n’y a  pas de Hadith authentique à ce sujet! Il (Ahmad) lui répondit : Même s’il n’y a pas de Hadith authentique à ce sujet, il y a l’avis d’Ash-Shafé’i, et sa preuve est la plus établie à ce sujet ».

Tous ces arguments et ces citations de nos savants Sunnites démontrent que le seul critère d’authenticité d’un Hadith n’est pas suffisant pour qu’il soit possible à n’importe quel quidam de le suivre, comme certains le pensent. Au contraire, une connaissance profonde et exhaustive est nécessaire pour rassembler tous les Hadiths sur une question particulière et pouvoir ensuite en tirer un avis. Ceci est le travail des meilleurs juristes (fuqahâ). S’aventurer dans le Hadith sans posséder la connaissance suffisante peut égarer les gens comme cela a été attesté et mentionné par les Imams du passé. [3]

Qu’Allâh nous préserve de l’ignorance et de l’égarement.

 

En complément de l’article, vous pouvez également regarder cette vidéo de Sheykh Mumtaz ul-Haqq al-Hanafiyy (sous titrée en français) :

 

 

 

Notes :

[1] Malik ibn Anas, Ahmad ibn Hanbal, Ash-Shafé’i, Abou Hanifa – Qu’Allâh les agrées –

[2] An-Nawawi, al-Majmu’ Sharh al-Muhadhdhab (1:64), citant la Fatwa d’al-salah, wa Masa’il (1:54, 1:58-59). Cf. at-Tahanawi, I’la’ as-Sunan (2:290-291).

[3] Il faut également comprendre que les 4 Imams ont vécus avant al-Boukhari et Muslim. Il était donc plus facile pour les 4 Imams de vérifier les chaines de transmissions. Al-Boukhari et Muslim sont arrivés plus tard, par conséquent il leur était plus difficile de vérifier ces chaines. Il se peut donc qu’ils n’aient pu authentifier tel ou tel hadith pour la raison qu’ils manquaient d’informations sur certains transmetteurs. Et ainsi de suite, car plus vous vous éloignez dans le temps et plus le nombre de transmetteurs augmente (et donc ceux qui affaiblissent les chaines aussi). De même, avec le temps, des informations se perdent sur les rapporteurs. Il devient donc beaucoup plus difficile d’authentifier avec certitude un hadith. Cela explique pourquoi certains Hadths authentifiés par nos 4 Imams ne se trouvent pas dans les deux Sahih.

Il faut aussi noter que lorsque l’on connait la grande rigueur des 4 Imams dans leurs critères d’authentification des hadiths, il est aisé de comprendre pourquoi les Savants ont cette confiance dans les Hadiths utilisés et authentifiés par nos 4 grands Imams Mujtahid.

Lire en complément l’article : Le Hadith égare ceux qui sont dénués de Fiqh

Suivi d’une école – Les Salafis sont-ils des transgresseurs?

Par le Mufti  Muhammad ibn Adam al-Kawthari [1]

Qouran

 

 

Question :

Vous savez que nous avons la secte dite Salafi. Sont-ils considérés comme transgresseurs?

 

Réponse :

Au nom d’Allâh, le Très Compatissant, le Miséricordieux,

Le message réel de l’Islam est l’obéissance à Allâh. L’accent a été mis sur le suivi du Messager d’Allâh (salallâhou ‘alayhi wassalaam), parce qu’il représente les commandements d’Allâh. Par conséquent, tous les musulmans devraient s’efforcer de suivre les commandements d’Allâh le Tout-Puissant et Son Messager.

Toutefois, il existe de nombreux commandements et injonctions du Coran et de la Sunna qui sont confus et ambigus. En fait, il y a certains énoncés qui semblent (apparemment) en contradiction avec d’autres versets du Coran et des Hadiths.

Par exemple : Il y a un Hadith qui dit : « Celui qui a un imam, la récitation de l’imam (en prière) est sa récitation » [2]. Cela indique que celui qui suit l’imam dans la prière doit rester silencieux. Toutefois, un autre Hadith dit : « Il n’y a pas de Salat (prière) pour celui qui n’a pas récité la Sourate Al-Fatiha ».

Maintenant, si une personne a les qualifications requises, la connaissance profonde des différentes sciences de la Shari’ah qui exige de nombreuses années d’intenses études avec piété et crainte d’Allâh, alors elle peut étudier les différentes preuves et décider pour elle-même qu’elle est la position correcte. Cette catégorie de personne est connue sous le nom de « Mujtahid » [3].

Toutefois, si l’on est en deçà des conditions requises pour être Mujtahid (de nombreux chercheurs ont mentionné qu’il est impossible pour une personne d’atteindre le niveau de l’Ijtihad à notre époque), il est alors nécessaire pour elle de suivre un Mujtahid qui a passé toute sa vie dans l’étude des différentes sciences de la Shari’ah. Ceci est connu comme « le suivi d’une école (Madhhab) ».

Il convient de rappeler que lorsque nous suivons un Madhhab (une école de jurisprudence), nous ne suivons pas une seule personne, mais nous suivons les travaux de recherche effectués par des milliers de savants qui ont consacré leur vie pour cette noble cause.

Allâh dit dans le Saint Qur’an :

« Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas ». [4] et [5]

Si une personne est dans l’illusion et se considère comme un Mujtahid et qu’en réalité elle ne l’est pas (comme c’est le cas généralement), alors c’est certainement mauvais et cela conduit à la déviation.

Quant à la question « Les Salafis sont-ils des transgresseurs (ndt : sur ce point) », cela dépend de la personne, toutefois les gens normaux sont en deçà de l’exigence de l’Ijtihad, et par conséquent il leur est nécessaire de suivre une école (Madhhab).

Je ne voudrais pas faire un jugement général sur le fait qu’ils soient (tous) ou non des transgresseurs, nous laissons cela à Allâh le Très-Haut, afin de ne pas être interrogé sur cette question le jour de Qiyamah.

Qu’Allâh bénisse la Oummah par l’unité, car c’est ce dont elle a le plus besoin actuellement, et qu’Il nous guide tous dans le droit chemin (Ameen).

Et Allâh est plus savant.

Muhammad ibn Adam al-Kawthari
Darul Iftaa, Leicester, Royaume-Uni

Notes :

[1] La biographie du sheykh est disponible ici : Biographie de Sheykh Muhammad ibn Adam al-Kawthari

[2] Sunan Ibn Majah et al-Bayhaqi

[3] Le Mujtahid est celui qui prononce une interprétation personnelle (ijtihâd) sur un point de droit dans l’islam. L’ijtihâd est le jugement résultant de la réflexion du mujtahid. Il existe trois catégories de Mujtahid :

1) Al-mujtahid al-mutlaq : capable de faire se rapprocher des textes divergents et en tirer la synthèse, élaborer les principes juridiques sans référence à une école particulière (madhhab). Ces compétences sont considérées comme exceptionnelles et rarissimes.

2) Al-mujtahid al-mutlaq al-muntasib le même mais dans le cadre d’une école interprétative (madhhab).

3) Al-mujtahid fil-madh’hab dans le cadre d’une école interprétative, capable d’élaborer des réponses juridiques sur des questions nouvelles.

Seuls les savants les plus compétents atteignent le rang de Mujtahidin.

[4] Les gens du rappel sont les savants.

[5] Sourate Al-Nahl – verset 43

Pourquoi les quatre Ecoles [madhhabs] ?

Par Sheykh Abdal Hakim Murad
 

 Qouran

 

 

 

Le problème de l’anti-madhhabisme …

Le plus grand succès de la umma, au terme du millénaire passé, est sans doute d’avoir pu, à l’épreuve du temps, maintenir intacte sa cohésion intellectuelle interne. Depuis le cinquième siècle de l’hégire jusqu’à une période récente, et malgré l’aspect tragique des belligérances inter-dynastiques, les musulmans sunnites ont su maintenir entre eux une attitude de respect religieux et de fraternité quasiment infaillible. Il est remarquable que littéralement nulle guerre de religion, émeute ou persécution ne les ait divisés au cours de cette longue période si difficile à maints autres égards.

Un tel résultat est l’exception qui confirme la règle instituée par l’histoire des mouvements religieux. L’avis classique de la sociologie, tel qu’il fut avancé par Max Weber et ses disciples, postule que les religions jouissent à leur genèse d’une période initiale d’unité avant de se déliter dans un factionnalisme croissant, conséquence directe des luttes intestines inter-hiérarchiques. Le Christianisme constitue l’exemple le plus probant de ce paradigme. Mais on pourrait en ajouter bien d’autres, parmi lesquels des croyances séculaires comme le marxisme. A première vue, la capacité propre à l’Islam d’échapper à ce sort est frappante et nécessite une étude approfondie.

Il y a, bien sûr, une explication religieuse élémentaire. L’Islam est la dernière religion, le dernier bus du jour, et a donc été protégé par Dieu de façon à ne pas tomber en totale dégénérescence. Il est vrai que ce que ‘Abdul Wadod Shalabi a nommé « spiritual entropy » [1] existe depuis les débuts de l’Islam. Cette évidence est clairement corroborée par un grand nombre de hadiths. Néanmoins la Providence ne saurait négliger la umma. Les religions antérieures ont partiellement ou complètement dégénéré en schismes et chaos. Mais la piété islamique, bien que sujette à une certaine érosion sur le plan qualitatif, comprend des mécanismes intrinsèques qui lui permettent de conserver une bonne part de cette harmonie caractéristique de son âge d’or. Où que les singeries des émirs et autres politiciens puissent nous mener, la fraternité des croyants, qui fut également de mise chez les premiers Chrétiens comme chez d’autres fidèles demeure, après 1400 ans, un principe incontestable représenté par la plupart des membres de la dernière communauté de référence ayant reçu la Révélation de l’Islam. La raison en est simple et indiscutable : cette religion qui nous a été donnée constitue l’ultime parole de Dieu. Elle se doit donc de rester intacte, de même que ses fondements que sont le tawhid, l’adoration et la sagesse, jusqu’aux Jours Derniers.

Une telle interprétation a un mérite certain. Mais il nous faudra tout de même commenter certaines douloureuses exceptions à la règle, survenues lors des débuts de notre histoire.

Le Prophète (salallahou ‘alayhi wassalam) lui-même a dit à ses Compagnons, dans un hadith rapporté par l’Imam Tirmidhi :

« Quiconque parmi vous me survivra assistera a un grand conflit. »

Les premières ruptures qui ébranlèrent le corps politique de l’Islam sont les suivantes : l’insurrection désastreuse contre ‘Othman (puisse Dieu être satisfait de lui) [2], les dissensions opposant ‘Ali (puisse Dieu être satisfait de lui) à Talha puis à Mu’awiyah [3], ainsi que les scissions sanglantes des Kharijites [4]. Toutes ont engendré la discorde au sein même du corps politique musulman, presque dès le début. Seuls l’équilibre mental intrinsèque et l’amour de l’unité régnant dans les cœurs des savants de la umma et assistés, sans aucun doute, par la Providence, ont aidé à surmonter les agitations initiales causées par ces discordes pour finalement créer un Sunnisme puissant et harmonieux qui a, au moins à un niveau purement religieux, uni 90% de la umma pour 90% de son histoire.[5]

Nous sommes aujourd’hui en proie à des divisions de plus en plus profondes. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il nous sera très utile d’examiner minutieusement les forces qui nous ont divisé dans le passé. Elles étaient nombreuses, parfois très excentriques. Mais seules deux d’entre elles ont tourné en mouvements populaires massifs, engendrés par une idéologie religieuse et en rébellion active contre le credo et l’érudition majoritaires. On les a nommées Kharijisme et Shiisme pour de bonnes raisons. Contrairement au Sunnisme, elles ont produit de nombreux groupes dissidents et mouvements dérivés. Mais du fait de leurs respectives divergences de position vis-à-vis de l’opinion mainstream sur la question clé de l’autorité religieuse en Islam, elles sont tout de même restées deux traditions dissidentes identifiables.

Confrontés à ce qu’ils considéraient être un glissement moral sous le règne des premiers califes, les partisans posthumes de ‘Ali (puisse Dieu être satisfait de lui) développèrent une théorie d’autorité religieuse qui se distingua des visions égalitaires précédentes en les agrémentant d’une succession charismatique d’Imams.

Nous ne nous étendrons pas sur le problème de savoir si cette idée a pu être influencée par le passé chrétien oriental de certains convertis de l’époque qui avaient été nourris par l’idée d’une succession apostolique mystique du Christ, un don qui octroyait supposément à l’Eglise l’unique pouvoir de pénétrer son message au cours des générations futures. Par contre, il faut souligner que le Chiisme s’est développé sous une multitude de formes en réponse à ce qui était largement perçu par les acteurs de la société islamique d’alors comme un manque d’autorité religieuse.

Le temps des ‘Califes bien guidés’ arriva à son terme et les dirigeants Omeyyades s’écartèrent d’une manière de plus en plus manifeste du mode de vie que leur fonction d’ ‘émirs des croyants’ aurait dû honorer. Dans un tel contexte, les écoles de fiqh de l’époque, qui présentaient de nombreuses divergences et s’étaient formées depuis peu, semblaient inaptes à mener fermement et sans équivoque les affaires religieuses. D’où l’idée souvent irrésistible d’un Imam infaillible [6].

Cette interprétation de la montée de l’imâmisme aide aussi à expliquer la seconde grande phase de l’expansion chiite. Avec le succès du renouveau sunnite du cinquième siècle, quand le Sunnisme fut enfin considéré comme un système totalement fonctionnel, le Chiisme connut un léger déclin. Son expression extrême, se manifestant à travers l’Ismaélisme, fut sévèrement attaquée par l’Imâm al-Ghazali dont le livre « Les scandales des Batinites » révéla et réfuta leurs doctrines secrètes avec une force foudroyante [7]. Ce déclin de l’engouement chiite ne s’estompa qu’au milieu du septième siècle, après que les hordes mongoles de Gengis Khan eurent envahi et obstrué les terres centrales du monde musulman. L’attaque fut d’une dureté impensable : il est dit, par exemple, que parmi les 100.000 habitants de la ville de Herat, seuls quarante survivants sortirent des ruines fumantes pour faire le compte des dégâts [8]. A la suite de cette vague de troubles, des turcomans à peine convertis immigrèrent, et dans un contexte de crainte, de turbulences et d’attente messianique, et parce que tous les savants sunnites des villes étaient morts, ils se tournèrent plus facilement vers des formes extrêmes de croyances chiites [9]. Le triomphe du Chiisme en Iran, un pays qui fut d’abord attaché au Sunnisme, date de cette période douloureuse [10].

A cette époque, l’autre grand mouvement dissident de l’Islam fut celui des kharijites, littéralement, les sécessionnistes, appelés ainsi car ils se séparèrent de l’armée du Calife ‘Ali lorsqu’il accepta un arbitrage entre lui et Muawiyah pour mettre fin à leur conflit. Sur la base de la sentence coranique ‘Le jugement n’appartient qu’à Dieu’, ils combattirent froidement l’armée de ‘Ali qui comprenait certains des Compagnons les plus éminents, jusqu’à ce qu’en l’an 38, l’Imam ‘Ali les batte à la bataille de Nahrawan, où 10.000 d’entre eux périrent [11].

Si les premiers Kharijites furent éliminés, le kharijisme lui-même subsista. Sa doctrine s’averra être l’exact opposé du chiisme, rejetant toute idée d’autorité héritée ou charismatique, et insistant sur le fait que la piété seule devait influer sur le choix du dirigeant de la communauté des croyants. Elle fut établie par des critères considérablement simplistes : les premiers kharijites étaient réputés pour leurs dévotions extrêmement drastiques et pour la doctrine rigide qui déclare le Musulman grand pêcheur mécréant. Cette excuse qu’était le takfir (l’excommunication) permit aux groupes kharijites qui campaient sur des territoires montagneux reculés du Khuzestân d’attaquer les lieux d’habitation des Musulmans qui avaient suivis les autorités omeyyades. Les non-kharijites étaient régulièrement massacrés lors de ces opérations, qui déclenchèrent de froides récidives de la part de généraux Omeyyades très fermes comme al-Hajjaj ibn Yussuf. Mais bien que leur cause fût clairement sans espoir, les attaques des kharijites persistèrent. Le Calife ‘Ali radiallahanhou.gif fut assassiné par ibn Muljam, un survivant de Nahrawan, tandis que le savant du hadith, l’imam al-Nasai, auteur d’une des collections de sunan qui font autorité, fut lui aussi tué par des fanatiques kharijites à Damas en 303/915. [12]

De même que le chiisme, le kharijisme fut la cause d’instabilités en Irak et en Asie Centrale, et parfois même ailleurs, et ce jusqu’aux quatrième et cinquième siècles de l’ère islamique. A cette époque, un grand tournant historique eut lieu. Le Sunnisme s’organisa en un système très précis qui se développa si harmonieusement et fut si ouvertement adopté par la grande majorité des ulémas que l’attrait pour les mouvements rivaux diminua rapidement.

Voici ce qui arriva. L’Islam sunnite, qui occupait le terrain central, entre les deux extrêmes que représentaient le kharijisme égalitariste et le chiisme hiérarchique, avait longtemps été troublé par des disputes concernant son propre concept d’autorité. Pour les sunnites, l’autorité, par définition, trouvait sa source dans le Coran et la Sunna. Mais face à une immense quantité de hadiths – qui avaient été dispersés sous des formes et des récits variés d’un bout à l’autre du monde islamique à la suite des migrations des Compagnons et des Tabi’un – il était parfois difficile d’interpréter la Sunna. Même une fois que les hadiths authentiques eurent été extraits de ce corpus gigantesque, ce qui s’élevait encore à plusieurs centaines de milliers de hadiths, certains d’entre eux semblaient en contredire d’autres, ou même contredire certains versets du Coran. Il était certain que des approches simplistes, comme celle des kharijites en particulier, qui avaient établis un petit corpus de hadiths et en dérivaient directement les bases de leur doctrine ainsi que de leur loi, ne pouvaient pas fonctionner. Les contradictions internes étaient trop nombreuses et les interprétations qui en découlaient trop complexes pour que des qadis (juges) puissent prononcer des jugements simplement en ouvrant le Coran et les recueils de hadiths à la bonne page.

Les raisons derrière ces contrastes apparents entre de nombreux textes révélés ont été examinées de près par les premiers ulémas, souvent au cours de riches débats entre grands esprits comblés de mémoires photographiques des plus parfaites. Une bonne partie de la science des principes légaux islamiques (usul al-fiqh) a été développée pour établir des mécanismes logiques permettant de résoudre de tels conflits tout en préservant l’esprit traditionnel de l’Islam. Tous les étudiants en jurisprudence islamique reconnaissent en l’expression taarud al-adilla (contradiction entre dalils, càd. entre preuves textuelles) l’un des concepts légaux islamiques les plus sensibles et complexes [13]. Certains savants des premières générations comme Ibn Qutayba se sont sentis obligés de consacrer des livres entiers à ce sujet [14]. Les savants de usul ont basé leurs études en postulant que les conflits entre textes révélés n’étaient rien de plus que des conflits d’interprétation et qu’ils ne pouvaient être considérés comme des incohérences au niveau du message légal transmis par le Prophète (salallahou ‘alayhi wassalaam). Le message de l’Islam avait été parfaitement propagé avant le décès de ce dernier ; et le rôle des savants qui venaient après lui était exclusivement d’interpréter, et non de modifier.

Conscient de cela, le savant de l’Islam, en examinant des textes problématiques, commence par faire des tests méthodiques et réfléchit à des méthodes de résolution. Le système établi par les premiers savants était le suivant : si deux paroles coraniques ou hadiths semblent se contredire, le savant doit d’abord analyser les textes au niveau linguistique, pour voir si la contradiction n’est pas due à une mauvaise interprétation de l’arabe. Si cette contradiction ne peut être résolue ainsi, il tente de déterminer, sur la base d’une série de techniques textuelles, légales et historiographiques, si l’un d’entre eux est sujet au takhsis, c’est-à-dire qu’il ne s’applique qu’en certaines circonstances, et qu’il constitue donc une exception spécifique à un principe plus général figurant dans l’autre texte. [15]

Le juriste doit également considérer le statut textuel des écrits, en se fondant sur le principe en vertu duquel un verset coranique, de même qu’un hadith rapporté par plusieurs isnads (mutawatir ou mashhur), ont prédominance sur un hadith rapporté par une seule isnad (chaîne de transmission ; ce type de hadiths est nommé ahad). [16] Si, après avoir appliqué tous ces mécanismes, le juriste constate que le conflit perdure, il doit alors considérer la possibilité qu’un des textes ait pu être officiellement abrogé (naskh) par l’autre. Ce principe de naskh montre bien qu’en examinant le problème délicat de taarud al-adilla, les ulémas sunnites ont basé leur approche sur des principes textuels qui avaient déjà été admis à maintes reprises du vivant du Prophète. Les Compagnons savaient par ijma que sous le règne du Prophète, où il les instruisit, les éduqua et les sortit de la violence du paganisme pour les mener sur le chemin plus sobre et miséricordieux du monothéisme, son enseignement avait été modelé par Dieu pour mieux s’adapter à leur développement. Le cas le plus connu est l’interdiction progressive du vin, qui fut découragé par un premier verset coranique, puis désapprouvé et finalement interdit [17]. Un autre exemple, concernant un principe encore plus central, était la prière canonique, que les premiers Musulmans de la umma avaient été tenus d’accomplir seulement deux fois par jour au début, mais qui, à la suite du mi’raj, devint obligatoire cinq fois par jour [18]. Le mutah (mariage temporaire) avait été permis aux débuts de l’Islam, mais fut ensuite prohibé quand les conditions sociales se développèrent, quand le respect pour les femmes augmenta et la morale s’affermit [19]. Il y a plusieurs autres exemples à cette évolution, la plupart remontant aux années suivant immédiatement la hijrah, période durant laquelle le développement de la jeune umma fut en constant mouvement.

Il y a deux types de naskh : l’explicite (sarih) et l’implicite (dimni). [20] Le premier est facilement identifiable, étant donné qu’il concerne des textes qui spécifient expressément qu’une règle précédente est modifiée. Par exemple, un verset du Coran (2 :142) ordonne les Musulmans de se tourner pendant la prière vers la Ka’ba plutôt que vers Jérusalem. [21] C’est encore plus courant pour les paroles prophétiques ; par exemple, dans un hadith rapporté par l’Imam Muslim, il est dit : « Je vous interdisais de visiter les tombes ; mais à présent, visitez-les ! » [22] Pour commenter cette parole, les ulémas du hadith expliquent que dans les premiers temps de l’Islam, quand les pratiques idolâtres étaient encore ancrées dans les mémoires des gens, il avait été interdit de visiter les tombes de peur que des Musulmans fraîchement convertis commettent le shirk. Cependant, lorsque le monothéisme s’affermit dans le cœur des Musulmans, cette prohibition fut levée, n’étant plus nécessaire, si bien qu’aujourd’hui, il est recommandé aux Musulmans de visiter les tombes pour prier en faveur des morts et garder présent à l’esprit la Vie Dernière, al-akhira. [23]

L’autre type de naskh est plus subtil, et a souvent poussé les premiers ulémas à aller au bout de leurs possibilités intellectuelles. Il concerne des textes qui annulent ou modifient substantiellement des documents plus anciens sans l’énoncer explicitement. Les ulémas ont relevé plusieurs exemples de ce type, dont les deux versets de la sourate al-baqarah qui donnent des instructions divergentes à propos de la période durant laquelle les veuves doivent attendre avant de se remarier (2 : 240 et 234) [24]. Pour ce qui est des hadiths, rappelons-nous par exemple qu’un jour, le Prophète a demandé à ses Compagnons de rester assis derrière lui alors qu’il priait ainsi parce qu’il était malade. Ce hadith est rapporté par l’Imam Muslim. Cependant, un autre hadith, également rapporté par Muslim, mentionne un incident au cours duquel les Compagnons prièrent debout, alors que le Prophète était assis. La contradiction apparente fut résolue par une analyse chronologique scrupuleuse qui révéla que la deuxième scène s’était déroulée après la première, et donc avait priorité sur cette dernière. [25] Cela a été dûment rapporté dans les livres de fiqh des plus grands érudits.

Les techniques d’identification du naskh ont permis aux savants de résoudre la plupart des cas de taarud al-adilla. Elles nécessitent une connaissance rigoureuse et détaillée non seulement des disciplines du hadith, mais aussi de l’histoire, de la sirah, et des opinions tenues par les Compagnons ainsi que les autres savants sur les circonstances de la genèse et de l’exégèse du hadith en question. Dans certains cas, les savants du hadith voyageaient d’un bout à l’autre du monde islamique pour recueillir les informations nécessaires à la compréhension d’un seul hadith. [26]

Dans le cas où l’abrogation ne peut être prouvée malgré tous les efforts déployés, les ulémas du salaf ont décidé qu’il était nécessaire de faire d’autres tests, dont l’importante analyse du matn (le texte transmis, plutôt que l’isnad du hadith).[27] De même, on considère que les paroles claires (sarih) ont préséance sur les allusives (kinayah), et les formules catégoriques (muhkam) sur des formes plus équivoques telles les paroles interprétées (mufassir), dissimulées (khafi) et problématiques (mushkil). [28] Il peut aussi être nécessaire de considérer le positionnement des narrateurs de hadiths conflictuels ; la narration d’une personne impliquée personnellement est alors prioritaire. Par exemple, selon un hadith connu rapporté par Maymunah, le Prophète l’a épousée alors qu’il n’était pas en état d’ihram (sacralisation pour le pèlerinage). Etant donné que sa narration était celle d’un témoin visuel, son hadith a préséance sur la narration conflictuelle de Ibn Abbas, rapportée par une chaîne de transmission (isnad) tout aussi fiable, qui dit que le Prophète était en état d’ihram à ce moment là. [29]

Il existe plusieurs autres règles, comme celle selon laquelle ‘une interdiction a préséance sur une autorisation. [30] De même, des hadiths conflictuels peuvent être départagés en utilisant la fatwa d’un Compagnon, après avoir scrupuleusement comparé et évalué toutes les fatwas concernées [31]. Finalement, on peut avoir recours au qiyas (analogie). [32] Par exemple, différentes narrations à propos de la prière de l’éclipse solaire (salat al-kusuf) indiquent des nombres variables d’inclinaisons et de prosternations. Les ulémas, après avoir méticuleusement examiné les narrations et n’avoir pu lever l’antagonisme par aucune des méthodes exposées ci-dessus, ont appliqué le raisonnement analogique en concluant que la prière en question étant toujours appelée salah, la forme normale de la salah doit être suivie, en s’inclinant une fois et se prosternant deux fois. Les autres hadiths sont donc écartés. [33]

Cette articulation méticuleuse des méthodes de résolution de textes sources conflictuels, primordiale pour extraire à partir des sources révélées les règles de la shari’ah, fut tout d’abord mise en place par l’Imam Shafi’i. Confronté à la confusion et aux désaccords entre les juristes de son époque, et déterminé à établir une méthodologie cohérente qui permettrait d’établir un fiqh dépourvu de toutes erreurs, dans les limites de la contingence humaine, Shafi’i écrivit sa magnifique Risalah (Traité de jurisprudence islamique). Ses idées furent bien vite adoptées, dans différents contextes, par des juristes des autres traditions légales majeures ; et de nos jours, elles tiennent une place fondamentale dans l’application officielle de la Shari’ah. [34]

Ce système de Shafi’i, qui permet de limiter les erreurs en dérivant des règles légales à partir d’une masse de textes primaires, se répandit sous le nom d’usul al-fiqh (les racines du fiqh). Comme la plupart des autres disciplines académiques officielles de l’Islam, ce n’était pas une innovation néfaste, mais plutôt une élaboration à partir de principes que l’on pouvait déjà discerner du temps des premiers Musulmans. Avec le temps, chacune des grandes traditions interprétatives de l’Islam sunnite codifia ses propres variations sur ces bases, laissant ainsi se développer parfois des branches divergentes (id est des règles de pratique religieuse spécifiques). Bien que les débats qui en découlaient fussent parfois tenaces, ils étaient néanmoins insignifiants comparés aux grands différents sectaires et légaux qui avaient vu le jour au cours des deux premiers siècles de l’Islam, jusqu’à ce que la science d’usul al fiqh vienne mettre fin à de telles discordes chaotiques.

Il est à peine nécessaire de rappeler que malgré le fait que les quatre Imams, Abu Hanifa, Malik Ibn Anas, al Shafi’i et Ibn Hanbal, soient considérés comme les fondateurs de ces quatre grandes traditions, que nous pourrions définir schématiquement, si cela nous était demandé, comme un ensemble de techniques mises en place pour éviter les innovations, leurs traditions ne furent complètement normalisées que par des générations de savants plus tardives.

Les ulémas sunnites reconnurent rapidement l’autorité des quatre Imams, et nous savons qu’à la fin du troisième siècle islamique, la quasi-totalité des savants avaient adhéré à l’une de leurs approches. Les grands spécialistes du hadith, dont al-Bukhari et Muslim, suivaient tous fidèlement l’un ou l’autre madhhab, et en particulier celui de l’Imam Shafi’i. Mais les grands érudits de chaque madhhab continuèrent à améliorer et à affiner les fondements et les branches de leurs écoles. Dans certains contextes historiques, cela fut non seulement possible, mais nécessaire. Par exemple, certains savants de l’école d’Abu Hanifa, laquelle reposait sur les fondements des premières écoles légales de Kufa et Basra, étaient prudents vis-à-vis de certains hadiths circulant en Irak, du fait de la grande proportion de falsifications engendrées par les fortes influences sectaires qui sévissaient à cet endroit. Plus tard cependant, quand les recueils canoniques de Bukhari, Muslim et d’autres savants furent disponibles, les générations de savants hanafites qui suivirent prirent en compte l’intégralité du corpus de hadiths, en explicitant et retouchant leur madhhab. Deux siècles s’écoulèrent avant que les écoles n’atteignent une parfaite stabilité durant les cinquièmes et sixièmes siècles de l’Hégire. [35]

Ce fut également à cette époque que l’attitude de tolérance et de bonne opinion vis-à-vis des autres écoles se répandit. Cette qualité fut formulée par l’Imam al-Ghazali, lui-même auteur de quatre manuels de fiqh shafi’ite [36] mais également du Al Mustafa, largement reconnu comme l’ouvrage d’usul le plus avancé et méticuleux, usul al-fiqh fi al-madhhab. En vertu de son amour bien connu pour la sincérité et de son dégoût des rivalités ostentatoires des savants, il condamna sévèrement ce qu’il appela « l’attachement fanatique à un madhhab. » [37] De même que le Musulman se devait de suivre un madhhab reconnu pour éviter le danger fatal de mal interpréter les sources, il ne devait jamais tomber dans le piège de considérer sa propre école catégoriquement meilleure que les autres. A de rares exceptions près sous le règne ottoman, les grands savants de l’Islam sunnite suivirent l’ethos défini par l’Imam al-Ghazali et furent clairement respectueux des autres madhhabs. Quiconque a étudié sous l’autorité d’un savant traditionnel en est totalement conscient. [38] Contrairement à ce que certains orientalistes ont avancé [39], l’évolution des quatre écoles n’a pas étouffé la capacité d’affinement ou d’extension du droit positif. [40] Au contraire, des mécanismes sophistiqués existaient, qui non seulement permettaient à des personnes qualifiées de dériver la shari’ah de leur propre chef à partir du Coran et de la Sunna, mais leur imposait même cela ; d’après la plupart des savants, un expert accompli qui maîtrise parfaitement les sources et qui remplit un certain nombre de conditions d’érudition n’est pas autorisé à suivre l’avis répandu dans son école, mais se doit de dériver les règles lui-même à partir des sources révélées. Un tel individu est appelé mujtahid [41], un terme qui trouve sa source dans le fameux hadith de Muadh ibn Jabal. [42]

Rares sont ceux qui nieraient sérieusement que tout Musulman qui s’aventure au-delà de l’opinion experte répandue et qui a directement recours au Coran et à la Sunna se doit d’être un savant extrêmement éminent. Le danger de personnes moindrement compétentes, comprenant mal les sources et par conséquent susceptibles de nuire à la shari’ah est bien réel, comme le prouvent la discorde et le différent qui affligèrent certains Musulmans des premières générations et même plusieurs Compagnons, à l’époque qui précéda l’instauration des écoles orthodoxes.

Avant l’Islam, des religions entières avaient été renversées par une connaissance scripturaire trop superficielle, et l’Islam doit absolument être protégé d’un tel sort.

Pour protéger la shari’ah des dangers de l’innovation et de l’altération, les grands savants de l’usul ont établis des conditions drastiques qui doivent être remplies par quiconque souhaite se proclamer capable d’ijtihad. [43] Ces conditions sont les suivantes :


a) Une maîtrise parfaite de la langue arabe, pour minimiser les chances de mal interpréter la Révélation pour des raisons d’ordre purement linguistique ;

b) Une connaissance profonde du Coran, de la Sunna, et des circonstances liées à la révélation de chaque verset et hadith, de même qu’une connaissance complète des commentaires du Coran et des hadiths, ainsi que d’une maîtrise parfaite de toutes les techniques d’interprétation mentionnées ci-dessus ;

c) Une connaissance des disciplines spécialisées du hadith, comme celle de l’évaluation des rapporteurs et du matn (texte) ;

d) Une connaissance des opinions tenues par les Compagnons, les Suivants et les grands Imams, ainsi que des positions et des raisonnements exposés dans les manuels de fiqh, de même que la connaissance des cas où un consensus (ijma’a) a été atteint ;

e) Une connaissance de la science de l’analogie juridique (qiyas), de ses types et conditions ;

f) Une connaissance de sa propre société et de l’intérêt publique (maslahah) ;

g) Une connaissance des objectifs généraux (maqasid) de la shari’ah ;

h) Un haut degré d’intelligence et de piété personnelles, combiné aux vertus islamiques que sont la compassion, la courtoisie et la modestie ;

Un savant qui remplit ces conditions peut être considéré mujtahid fi al-shar et n’est ni obligé, ni même autorisé à suivre un madhhab existant reconnu. [44] C’est ce que certains Imams ont voulu dire quand ils ont interdit à leurs grands disciples de les imiter sans esprit critique. Mais pour le bien plus grand nombre de savants dont les compétences n’ont pas atteintes des sommets si vertigineux, il est possible de devenir mujtahid fi al-madhhab, un savant qui reste largement convaincu des préceptes de son école, mais qui peut diverger de l’opinion répandue au sein de celle-ci. [45] Il y a eu plusieurs exemples de ce type de personnes, dont l’Imam al-Nawawi chez les shafi’ites, le Qadi Ibn ‘Abdu al-Barr chez les malikites, Ibn Abidin chez les hanafites, et Ibn Qudama chez les hanbalites. Tous ces savants considéraient qu’ils suivaient les principes interprétatifs fondamentaux de leur propre madhhab, mais sont connus pour avoir utilisé leurs propres connaissances et avis pour émettre de nouvelles opinions dans leurs écoles respectives. [46] C’est à ces experts que les Imams mujtahid ont adressé leur conseil concernant l’ijtihad, comme dans l’instruction suivante de l’Imam Shafi’i : « Si vous trouvez un hadith qui va à l’encontre de mon verdict, alors suivez le hadith. » [47]. Il est évident que quoique puissent s’imaginer certains écrivains contemporains, de tels conseils ne furent jamais adressés aux masses islamiquement incultes.

L’Imam al-Shafi’i ne s’adressait pas à une foule de bouchers, veilleurs de nuit et âniers. D’autres catégories de mujtahids ont été répertoriées par les savants de l’usul ; mais les distinctions qui les caractérisent sont subtiles et sortent de notre sujet. [48] Les catégories restantes peuvent cependant être réduites à deux : le muttabi’ (celui qui suit), qui suit son madhhab tout en étant conscient des textes coraniques et des hadiths ainsi que du raisonnement qui détermine les positions de son école [49], et deuxièmement le muqallid (l’émule), qui se conforme simplement au madhhab, s’en remettant à ses savants sans nécessairement connaître le raisonnement détaillé derrière ses milliers de règles. [50]

Il est clairement recommandé au muqallid d’apprendre les preuves formelles de son madhhab autant que faire se peut. Mais il est également clair que tout Musulman ne peut être un érudit. Devenir savant demande beaucoup de temps, et pour que la umma fonctionne correctement, il est nécessaire que la plupart des gens exercent d’autres fonctions : comptables, soldats, bouchers, etc. [51]

On ne peut espérer d’eux qu’ils deviennent également de grands ulémas, même en supposant que tous disposent d’une intelligence à la hauteur de ce rôle. Le Saint Coran lui-même ordonne aux croyants moins avertis de faire appel à des savants qualifiés :

{Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas.} (16 ; 43) [52] (D’après les experts du tafsir, les ‘gens du rappel’ sont les savants).

Et dans un autre verset, les Musulmans sont enjoints d’établir et de maintenir un groupe de spécialistes qui ont autorité d’assistance vis-à-vis des non-spécialistes. {Pourquoi des groupes choisis parmi les tribus ne se mettraient-ils pas à l’écart en vue d’approfondir leur religion (yatafaqqahû fi-d-dîn) et de mettre en garde leur communauté une fois que ses membres seront revenus auprès d’eux ?} (9 ; 122).

Etant donné de l’immense expertise nécessaire pour bien comprendre les textes révélés, et les graves avertissements que nous avons reçus, qui mettent en garde contre toute altération de la Révélation, il est clairement du devoir des Musulmans ordinaires de suivre l’opinion des experts, plutôt que de s’en remettre à leur propre raisonnement et à leur connaissance limitée. Ce devoir évident était très connu des premiers Musulmans : le Calife Omar suivit certaines règles édictées par Abû Bakr  en disant qu’il aurait été honteux vis-à-vis de Dieu de différer de l’opinion de ce dernier. Et Ibn Massoud  à son tour, malgré le fait qu’il était un mujtahid dans le sens le plus large du terme, suivit ‘Omar  à plusieurs reprises. Selon al-Shabi, six des Compagnons du Prophète  donnaient des fatwas au peuple : Ibn Massoud, Omar ibn al Khattab, Ali, Zayd ibn Thabit, Ubayy ibn Kab and Abû Moussa (al Ashari), que Dieu soit satisfait d’eux. Et trois d’entre eux mettaient de côté leurs propres jugements en faveur du jugement de trois autres : ‘Abdullah (Ibn Massoud) abandonnait son jugement en faveur de celui d’Omar, Abû Moussa abandonnait le sien en faveur de celui d’Ali, et Zayd ferait de même en faveur d’Ubayy Ibn Kab.[53]

Cette règle qui invite expressément à suivre un grand Imam qui connaît la Sunna plutôt que de s’en remettre à soi-même concerne particulièrement les Musulmans des pays tels la Grande-Bretagne [ou la France], parmi lesquels seul un petit nombre a le droit de faire ce choix. Ceci pour la simple raison que même si on le désire, il n’est pas possible de lire tous les hadiths ayant trait à un cas particulier si l’on ne maîtrise pas l’arabe [54] : pour diverses raisons, incluant leur taille vertigineuse, seule une dizaine de collections de hadiths ont été traduites en anglais [et / ou en français]. Il en reste bien plus de trois cent autres, incluant des travaux séminaux comme le Musnad de l’Imam Ahmad ibn Hanbal [55], le Musannaf de Ibn Abi Shayba [56], le Sahih de ibn Khuzayma [57], le Mustadrak de al-Hakim [58] et bien d’autres collections en plusieurs tomes, qui contiennent de nombreux hadiths authentiques ne pouvant être trouvés dans Bukhari, Muslim, et les autres travaux qui ont été traduits jusqu’ici. Même en admettant que les traductions existantes soient absolument parfaites, seuls ceux qui ont accès à l’arabe peuvent donc éventuellement tenter de dériver la Shari’a directement à partir du Livre et de la Sunna. Essayer de discerner la Shari’a sur la seule base des hadiths qui ont été traduits signifierait ignorer et amputer une bonne partie de la Sunna, menant ainsi à de sérieuses distorsions. [59]

Je donnerai deux exemples. Pour ce qui est de la conduite à tenir vis-à-vis des cas légaux, les madhhabs sunnites ont établi que les punitions canoniques (hudud) ne devraient pas être appliquées si il y a la moindre ambiguïté, et que le qadi est tenu de faire tout son possible pour en prouver l’existence. Une lecture amatrice des six collections authentiques ne trouvera nulle confirmation de ce principe [60]. Mais la règle madhhabique se base sur un hadith rapporté par une chaîne authentique et consigné dans le Musannaf de Ibn Abi Shayba, le Musnad de al-Harithi, et le Musnad de Musaddad ibn Musarhad. Le texte dit : ‘Evitez les hudud par le biais des ambiguïtés. [61] L’Imam al-Sanani, dans son livre Al-Ansab, explique les circonstances de ce hadith :

« Un homme fut trouvé ivre, et on l’amena à ‘Omar, qui ordonna que le hadd de quatre-vingt coups de fouet soit exécuté. Lorsque ce fut terminé, l’homme s’écria : « Omar, tu as été injuste à mon égard, je suis un esclave ! » (La peine est diminuée de moitié pour les esclaves). Sur ce, ‘Omar fut saisi de remords et récita le hadith prophétique : ‘Evitez les hudud par le biais des ambiguïtés.’ » [62]

Un autre exemple est celui de la coutume de l’istighfar au profit des autres Musulmans lors du Hajj. Selon un hadith, « Le hajji est pardonné, de même que ceux pour qui le hajji prie. » Ce hadith n’est rapporté dans aucune des collections traduites jusqu’ici en anglais ou en français ; cependant, il apparaît dans plusieurs autres collections, incluant al-Mu’jam al-Saghir de al-Tabarani et le Musnad de al-Bazzar. Sa chaîne (isnad) est authentique. [63]

Un troisième exemple concerne la pratique importante et reconnue par les madhhabs d’accomplir les prières sunna aussi rapidement que possible après la prière obligatoire de Maghrib. Le hadith dit : « Dépêchez-vous d’accomplir les deux rak’as après le maghrib, car ils sont élevés (au ciel) avec la prière obligatoire. » Ce hadith est rapporté par l’Imam Razin dans son Jami.

Du fait de la traditionnelle crainte pieuse d’altérer la loi de l’Islam, l’écrasante majorité des grands savants du passé – certainement bien plus de quatre-vingt dix neuf pour cent d’entre eux – ont adhéré fidèlement à un madhhab. [64]

Il est vrai que durant le quatorzième siècle, un siècle de troubles, quelques dissidents virent le jour, tels Ibn Taymiyyah et Ibn al-Qayyim ; [65] mais même ces deux hommes se sont bien gardées de jamais préconiser que des Musulmans moyennement éduqués se hasardent à faire de l’ijtihad sans recourir à des mains expertes. Et dans tous les cas, bien que ces auteurs aient été récemment ressuscités et rendus proéminents, leur influence sur les savants orthodoxes de l’Islam classique a été négligeable, comme en témoigne le faible nombre de manuscrits en leurs noms préservés dans les grandes librairies du monde Islamique. [66]

Cependant, au cours du siècle passé, des turbulences sociales ont permis à plusieurs écrivains de percer qui prônèrent l’abandon d’une érudition officielle. Les représentants les plus éminents de cette campagne étaient Mohammad ‘Abduh et son élève Mohammad Rachid Rida. [67] Éblouis par le succès de l’Occident, et secrètement influencés par leur propre engagement bien connu dans la franc-maçonnerie, ces hommes incitèrent les Musulmans à se débarrasser des chaînes du taqlid et à rejeter l’autorité des quatre écoles.

Aujourd’hui, dans certaines capitales arabes, et surtout dans les lieux où la tradition locale d’érudition orthodoxe a été affaiblie, on voit souvent de jeunes arabes remplir leurs maisons de toutes les collections de hadiths sur lesquelles ils peuvent mettre la main, et s’y plonger en croyant, semble-t-il, qu’ils ont moins de chance de mal interpréter cette littérature vaste et complexe que l’Imam Shafi’i, l’Imam Ahmad, et les autres grands Imams. Cette approche irresponsable, bien qu’elle ne soit pas encore trop répandue, semble en voie d’ouvrir la porte à des opinions extrêmement divergentes qui ont [déjà] sérieusement commencé à détruire l’unité, la crédibilité et l’efficacité du mouvement islamique, et ont provoqué des discussions tendues autour de questions qui avaient pourtant été résolues par les grands Imams il y a plus de mille ans. [68]

Il est désormais monnaie courante de voir de jeunes activistes traînant dans les mosquées critiquer d’autres fidèles pour ce qu’ils croient être des défauts d’adoration, même lorsque leurs victimes suivent en fait les règles édictées par certains grands Imams de l’Islam. L’atmosphère nauséabonde et pharisaïque qui en résulte dissuade ainsi beaucoup de Musulmans moins engagés que ceux-là de se rendre dans les mosquées. Désormais, plus personne ne se souvient de l’avis des anciens ulémas selon lequel les Musulmans se doivent de tolérer des interprétations divergentes de la Sunna du moment que ces interprétations ont été tenues par des savants renommés.

Comme l’a dit Sufyan al-Thawri : « Si vous voyez un homme faire quelque chose à propos de quoi les savants divergent, et que vous-mêmes pensez que c’est interdit, vous ne devriez pas le lui interdire. » [69] L’alternative à cette politique est, bien évidement, une désunion et une rancœur susceptibles d’empoisonner et d’amputer la communauté musulmane de l’intérieur. [70]

Dans une culture mondiale influencée par l’Occident, où les gens sont poussés depuis le plus jeune âge à penser d’eux-mêmes et à remettre en question l’autorité établie, il peut parfois être dur de rassembler assez d’humilité pour reconnaître ses propres limites. [71] Nous sommes tous un peu comme Pharaon : nos ego résistent par nature à l’idée qu’autrui puisse être bien plus intelligent et savant que nous-mêmes. Croire que des Musulmans ordinaires, même s’ils connaissent la langue arabe, ont les qualifications requises pour dériver des règles légales pour eux-mêmes est un exemple de ce narcissisme sauvage. Cette situation peut devenir un piège pour des jeunes gens fiers de leurs propres opinions et étrangers à la complexité des sources et à l’éclat de la science authentique, qui peut finalement les détourner de la voie orthodoxe de l’Islam et provoquer un éventail involontaire de profondes divisions dans le monde musulman. On semble avoir oublié que tous les grands savants de la religion, experts du hadith inclus, suivaient eux-mêmes des madhhabs et exigeaient de leurs élèves la même chose. Dans ce domaine, l’estime de soi a remporté une victoire majeure sur le bon sens et le devoir islamique. [72]

Le Saint Coran ordonne aux Musulmans d’utiliser leurs têtes et leurs capacités de réflexion ; et cette aptitude devrait être tout particulièrement cultivée quant à la question de suivre ou non des savants attitrés. Et pour commencer, il faudrait reconnaître qu’il n’existe pas de différence catégorique entre usul al-fiqh et toute autre science spécialisée qui demande un apprentissage de longue haleine.

Le Cheikh Sa’id Ramadan al-Buti, qui dans son ouvrage : Le non-madhhabisme : la plus grande bid’a qui menace la shari’ah islamique, a formulé une réponse orthodoxe adéquate à la tendance anti-madhhab, aime à comparer la science de la dérivation des règles légales à celle de la médecine. « Si l’enfant de quelqu’un est sérieusement malade, demande-t-il, cherche-t-on soi-même dans les manuels médicaux les bons diagnostics et remèdes, ou bien doit-on se rendre chez un médecin expert ? » La raison dicte sans aucun doute la deuxième option. Il en va de même pour les questions religieuses, qui sont en fait plus importantes encore et peuvent s’avérer dangereuses : il faut être et idiot et irresponsable pour tenter de parcourir les sources de son propre chef et devenir son propre mufti. Au lieu de ça, il vaudrait mieux reconnaître que ceux qui ont passé leurs vies à étudier la Sunna et les principes légaux ont bien moins de chance de se tromper que [les gens du commun]. [73]

Penchons-nous sur une seconde métaphore, cette fois-ci empruntée à l’astronomie. Nous pourrions en effet comparer les versets coraniques et les hadiths aux étoiles. A l’œil nu, nous sommes incapables de voir précisément bon nombre d’entre elles. Il nous faut donc avoir recours à un télescope. L’idiot ou l’arrogant essayeront peut-être d’en construire un eux-mêmes. Cependant, le sage et le modeste seront heureux d’en utiliser un construit par les Imams Shafi’i ou Ibn Hanbal et élaborés, polis et améliorés par des générations et des générations de grands astronomes. Un madhhab n’est, après tout, rien de plus qu’un équipement de précision qui permet de discerner l’Islam avec une visibilité optimale. La vision de quiconque utilise son propre système sera inévitablement amoindrie par le caractère amateur de ses manipulations.

Voici enfin une troisième image. Une construction ancienne, comme par exemple la Mosquée Bleue d’Istanbul, peut sembler imparfaite aux yeux de certains fidèles qui y prient. On pourrait imaginer que des jeunes gens enthousiastes, rêvant d’embellir et de finioler l’édifice (conformément, sans aucun doute, à leurs propres penchants du moment), accèdent aux cryptes et aux sous-sols du bâtiment. Sur la base de leur propre compréhension des règles de l’architecture, ils essayeraient d’ajuster les fondations et les piliers qui supportent le grand édifice qui se trouve au-dessus, sans se donner la peine, bien entendu, de consulter des architectes professionnels, à part peut-être l’un où l’autre dont les arguments leur auraient plu. Les livres et les mémoires de ceux qui auraient assuré l’entretien du bâtiment pendant des siècles ne leur seraient d’aucune utilité : leur zèle et leur fierté ne leur laisseraient pas de temps pour cela. Au plus profond des sous-sols, ils sortiraient leurs pioches et leurs perceuses hésitantes et se mettraient à l’ouvrage avec leur enthousiasme habituel.

Le danger que l’Islam sunnite soit logé à la même enseigne est réel. L’édifice est resté stable pendant des siècles, résistant aux coups les plus durs de ses ennemis. Il ne peut être affaibli que de l’intérieur. Nul doute que l’Islam a des adversaires intelligents qui ne le savent que trop bien. Le spectacle des désunions et des fitnas qui ont divisé les premiers Musulmans malgré leur piété incomparable, mais aussi la solidité et la cohésion du Sunnisme à la suite de la codification finale de la shari’ah à travers les quatre écoles des grands Imams ont sans doute donné des idées à plus d’un esprit malveillant. Nous ne suggérons aucunement que ceux qui attaquent les grands madhhabs sont les outils conscients des ennemis de l’Islam. Mais cela peut fournir quelques explications au fait qu’ils continueront à être médiatisés et bien financés, tandis que l’alternative orthodoxe reste dénuée de tous moyens. Chaque Musulman étant désormais un ‘grand mujtahid’, et le taqlid étant rejeté comme un pêché au lieu d’être reconnu comme étant une vertu simple et nécessaire, les opinions divergentes qui ont tant sévi au début de notre histoire risquent de refaire surface. Au lieu de quatre madhhabs en harmonie, nous aurons un milliard de madhhabs en conflit acharné et pharisaïque. Nul plan plus ingénieux n’aurait pu être imaginé pour détruire l’Islam. [74]

Wa Allâhou A’lam.

© Sheykh Abdal Hakim Murad (Nouvelle édition avec notes)
Traduit par Muhammad. N

Notes :

[1] à [74] disponibles en cliquant ici : Notes

La biographie du Sheykh Abdal Hakim Murad est disponible ici : Biographie du Sheykh Abdal Hakim Murad

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Quels avantages y a-t-il à suivre une école Juridique [Madhaab]? [1]

 


MaqamMecca[2]


Allâh dit : « Demandez aux gens de sience, si vous ne savez pas! »

Sheykh Nuh Ha Mim Keller mentionne dans une de ces conférences que, dans la Tariqa Shadhili le Sheykh n’a pas une importance énorme. Le Murshid Shadhili (guide spirituel) exige seulement une chose, le suivi strict de l’une des quatre écoles Juridiques.

Simple n’est-ce pas? Presque! Cela signifie plusieurs choses :

A) Il faut d’abord apprendre le madhab (l’école)- au moins ses règles de base.

B) Il faut ensuite suivre le célèbre principe du Tasawwuf : ‘amal bil-Ilm ou agir avec la connaissance.

C) Il faut avoir at-Taqwa fid-din [3]. Cela signifie que l’on ne peut pas piocher les avis qui nous plaisent juste dans le but de satisfaire nos moindres passions. Plutôt, on doit craindre Allâh et suivre les Mujtahideen du madhaab. Certains croient à tort qu’un Madhaab dans le Fiqh ne représente que les opinions d’un seul imam. Conclure à une telle chose est de la bêtise. Lisez n’importe quel travail, disons, de Fiqh Hanbali, on y trouvera au moins 10 grands Mujtahideen mentionnés. Une école de droit est composée de nombreux Mujtahideen qui cherchent à soutenir ou à réfuter les opinions de leurs « collègues » antérieurs.

Quels sont les avantages majeurs à suivre un Madhaab ?

 

1) La sécurité dans la pratique de ma religion (Deen).

Dans cette ère de « l’information », chacun s’efforce – surtout s’il est influencé par nos frères Wahhabites – de parvenir jusqu’à l’avis correct. Mais comment atteindre cet avis correct lorsque l’on est un novice, juridiquement ignorant des normes du Fiqh, sans connaissance des bases des Usoul et Furu de la Législation, asbaab-an-Nuzul, Ilm-al-hadith (en particulier Jarh et Ta’deel), du Tafsir et donc du Qour’an et que l’on ne maîtrise pas la langue arabe, etc…

Comment le choix d’un madhaab peut-il être bénéfique à une personne? Savoir que l’on suit constamment un avis fondé sur des preuves solides, sans même devoir les mémoriser, est un avantage énorme! Savoir que l’avis suivi provient de personnes qualifiées dans la Jurisprudence, qui après avoir maîtrisé les 20 sciences et plus de l’Islam, sont arrivé à cet avis par le biais nécessaire de l’Ijtihad. Savoir que plus de 1200 années de profonde érudition soutiennent une telle position. Sans oublier que cet avis- que vous avez pris de votre madhaab – a résisté à l’épreuve du temps. Lorsque les ennemis des madhaab écrivaient des réfutations sur ces avis, votre madhaab répliquait à leurs exposés avec argumentations et preuves à l’appui.

2) L’acquisition de l’entraînement spirituel.

Quand on doit passer au crible les avis, on est constamment fatigué par cette recherche et le risque que l’on a de suivre un avis non valide. Cette énergie dépensée est inutilement gaspillée. L’énergie dépensée en effectuant ces recherches pourrait être redirigée vers des actes d’adoration ou vers l’exécution de ce qui est connu comme étant une opinion valable dans la Shari’ah. La sécurité provoque ainsi une chance pour le demandeur d’agir au lieu de simplement « d’étudier ». En effet, l’apprentissage n’a aucune signification si ce qui est appris n’est pas appliqué.

3) Le suivi des Salafs.

En suivant un madhab, on suit vraiment les Salafs. J’ai entendu les pseudos-salafis prétendre qu’ils suivaient les Salafs. Je me demande ce que l’imam Ash-Shafi’i dirait à propos de ces gens qui n’ont pas mémorisé le Qour’an, maîtrisé la langue, appris les 20 sciences et plus de l’Islam, mais pensent qu’ils peuvent déchiffrer ce qui dans la Jurisprudence relève du haqq ou du batil. Voudriez-vous qu’un avocat diagnostique si oui ou non vous avez un cancer? Existe-il une question plus importante que celle qui concerne votre au-delà?

Regardez les hommes qui sont venus avant nous. Par exemple les Hafidhs (ce terme signifie qu’ils ont mémorisé minimum 100.000 hadiths avec formulation et chaîne) : Ibn Khouzayma, Taqiy-ud-Dîn As-Subki, Ibn Hajar Al-‘Asqalani et Haytami, l’imam An-Nawawi, Al-Boukhari, Al-Muzani, As-Suyuti, Al-Bayhaqi, An-Nasaa’i, et des centaines d’autres, faisaient tous partie d’un madhaab (ici l’école Shafé’ite)! J’utilise seulement cet exemple pour montrer que ces incroyables savants, maîtres du hadith, docteurs en droit, plaçaient leur confiance et leur âme dans l’Ijtihad de ces Imams [4]. Pourtant, à notre époque, des Musulmans rejettent avec arrogance et même condamnent leurs avis juridiques, comme s’ils étaient eux juridiquement autorisés à le faire.

Posez-vous simplement cette question : Combien de hadiths (à la fois le texte et les chaînes) avez-vous mémorisé? Maintenant, comparez cela aux plus de 100.000 hadiths mémorisés par chacun de ces hommes mentionnés ci-dessus, tous membres de l’école Shafé’ite.

Êtes-vous meilleur qu’eux dans la compréhension Juridique? Dans le Hadith? Dans la Langue?

Ces sommités dans le Hadith et diverses sciences Islamiques, ont pourtant tous choisi de suivre l’une des quatre écoles Juridique et ce malgré leur immense bagage scientifique.

Je pense que ceux qui ont abandonné les quatre Madhaab ont en fait abandonné la science des Compagnons. C’était leur érudition qui a conduit à l’incarnation de ce qui est connu aujourd’hui comme étant le « Fiqh ». C’était leur sang qui a été versé pour l’édification de la Jurisprudence. Pourtant, les pseudos-salafis se moquent de leurs sacrifices en accablant la position des Salafs, et en essayant de hisser leurs propres avis au-dessus des avis des Salaf-us-Salih (les Pieux Prédécesseurs).

Je demande à Allâh d’ouvrir nos cœurs à Sa Loi et de nous raffermir sur Sa Religion! Qu’Allâh déverse Ses Bénédictions sur notre maître bien-aimé Muhammad , sa famille et ses Compagnons. Ameen!

Notes :

[1] Article élaboré à partir d’une réflexion du frère Abu Layth de SeekingIlm.

[2] Jusqu’au début du siècle, il y avait autour de la Kaaba les 4 maqams représentant les 4 écoles Sunnites de Fiqh, jusqu’à leur destruction par les wahhabites en 1917. Ces maqams servaient aux pèlerins qui pouvaient venir y questionner un Mufti de leur école. Le nombre de pèlerins augmentant chaque année on peut comprendre la nécessité qu’il y avait à faire de la place autour de la Kaaba. Cependant ces 4 maqams n’ont pas été déplacées mais tout simplement détruites, pour des raisons évidentes d’incompatibilité avec la vision unilatérale et sectaire qu’ont les Wahhabites de l’Islam.

[3] La crainte révérentielle (délaisser les interdits, chercher la satisfaction d’Allâh).

[4] Malik ibn Anas, Ahmad ibn Hanbal, Abou Hanifa, Ash-Shafi’I et leurs successeurs (Qu’Allâh leur fasse Miséricorde).