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L’euthanasie de l’animal non comestible malade ou gravement blessé

 

 

 

« Le Miséricordieux fait miséricorde à celui qui fait preuve de miséricorde. Donc, faites miséricorde à toutes créatures sur terre pour que Celui qui est au ciel vous fasse miséricorde  »  [1]

 

Concernant l’école Malikite, l’Imām Ahmad ibn Ahmad ad-Dardīr al-Malīkī رحمه الله a dit :

« (en Islam) Il est permis d’abattre (euthanasie) un âne ou une mule si l’on perd l’espoir dans son rétablissement (en raison de sa maladie), il est plutôt recommandé de mettre fin à sa souffrance » [2]

Cet avis de l’école Malikite est également celui de l’école Hanafite.

Ainsi, l’Imam Hanafite Haskafi رحمه الله a déclaré :

« Il est permis d’abattre un chat ou un chien pour un bénéfice. Et il est meilleur d’abattre un chien s’il est proche de la mort. » Et l’Imam Ibn Abidin رحمه الله commente : « … car en abattant le chien, on le soulage de la douleur. Tahtawi a dit que cette règle ne se restreint pas au chien. » [3] De même, on peut trouver dans Al-Fatawa al-Hindiyya la déclaration suivante : « Si un âne devient malade de telle sorte qu’on ne peut plus en tirer bénéfice, alors il n’y a rien de mal à l’abattre pour mettre un terme à ses souffrances. » [4]

A contrario, comme l’a déclaré Sheykh Musa Furber, dans les écoles Shafé’ites et Hanbalites, les shuyukh recommandent plutôt de réconforter l’animal autant que possible et de continuer à prendre soin de lui dans l’espoir d’une guérison ou pour lui faciliter le décès. Mais cela peut s’avérer pénible, surtout si les vétérinaires estiment que c’est sans espoir et que l’animal souffre. L’euthanasie n’est donc pas une option dans ces deux écoles-ci, pour les animaux non comestibles.

Cela est cependant une option légale selon le mu’tamad du madhhab Maliki et selon l’école Hanafite. Les divergences légitimes et respectables entre les savants représentent une véritable miséricorde – pas seulement pour l’humanité, mais également pour toute la création d’Allâh (Subhanahu wa Ta’ala).

 

Notes :

[1]  Hadith Sahih, rapporté par Boukhâriyy
[2] Sharh Mukhtasar al-Khalil avec Hashiyah par l’Imam Muhammad ibn Ahmad ad-Dasuqi 2/108
[3] Radd al-Muhtar ala ’l-Durr al-Mukhtar 6/474, Kitab al-Sayd
[4] Al-Fatawa al-Hindiyya 5/361

L’opinion d’Ibn Taymiyyah concernant les 4 écoles

 

Sheykh Mohammad Yasir Al-Hanafi

 

 

L’opinion d'Ibn Taymiyyah concernant les 4 écoles

 

 

Question : 

Quelle est l’opinion d’Ibn Taymiyyah concernant les 4 écoles de Jurisprudence?

Réponse : 

Bismillâhi ar-Rahmani ar-Rahim,

En page 263 du 14e volume de son ouvrage Majmu’ al-Fatawa, Al-Hāfidh Ibn Taymiyyah (rahimahuLlâh) mentionne que :

« Ceux qui suivent les écoles (ahl ul-Madhāhib), c’est-à-dire les Hanafis, les Malikites, les Shafé’ites, les Hanbalites, leur religion est UNE. »

En clair, il dit que ceux qui s’affilient aux Madhāhib et les suivent, leur religion est une seule et unique religion : l’ISLAM.

Donc, pour Ibn Taymiyyah, celui qui suit le madhhab Hanafi suit l’Islam, celui qui suit le madhhab Maliki suit l’Islam, celui qui suit le madhhab Shafé’i suit l’Islam, celui qui suit le madhhab Hanbali suit l’Islam.

Qui dit cela ? Al-Hāfidh Ibn Taymiyyah !

Il dit en outre que celui qui suit une de ces 4 écoles et qui obéit à Allâh et à Son Messager (salallâhou ‘alayhi wassalaam) selon sa capacité est un croyant chanceux (c’est-à-dire victorieux), avec le consensus et l’agrément des Musulmans.

Le savant Ibn Taymiyyah, que ces partisans nomment « Sheykh al-Islam » et qui est mort en 728 de l’Hégire ne mentionne nulle part ceux qui se font appeler « Salafis » ou « Ahl al-Hadith », il mentionne uniquement les 4 écoles.

Pourquoi ? La réponse est simple : ces deux groupes n’existaient pas à son époque.

Pour Ibn Taymiyyah, il est clair et évident que les 4 écoles et ceux qui les suivent, leur religion est UNE. En clair, celui qui suit une école, quelle qu’elle soit, suit l’Islam et sera inshaa Allâh victorieux (au Jour du Jugement) avec le consensus et l’agrément des Musulmans.

Qu’Allâh nous accorde at-Tawfiq et qu’Il nous renforce dans le suivi des écoles et qu’Il ta’ala nous protège de Shaytan et de ses alliés.

Wa Allâhou a’alam,
Wassalaam.

 

Retrouvez la vidéo originale sous titrée en Français sur notre page Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=CIId49RmOQ4

Sayddina Ali vs Les Faux Monnayeurs

Billet

 

 

Un jour, Sayddina ‘Ali (‘alayhi as-salaam) se trouva confronté à un groupe qui refusait l’enseignement des gens (as-Sahabas). Ils disaient : « Nous on ne prend pas des gens, on prend directement du Qour’an et de la Sunnah. Tu es une personne et nous on préfère laisser parler le Qour’an (et la Sunnah), nous sommes Ahl ul-Qou’ran ! ».

Sayddina ‘Ali était pourtant l’élève et le Compagnon du Prophète Muhammad ﷺ depuis qu’il était un très jeune enfant, mais ces gens dirent : « Non, non, non, nous suivons le Qour’an ». (Aujourd’hui, des gens similaires disent : nous suivons uniquement le Qour’an et la Sunnah (ce qui signifie Boukhari en général).

A notre époque, nous retrouvons des gens avec cette même mentalité, comme les Kharijites, et ce type de groupe existera jusqu’à ce que Dajjal vienne. Et ces gens feront partie de ceux qui le suivront et il agira comme eux, en combattant les croyants, en tuant les Musulmans, ce genre de choses. Dajjal sera un humain, un leader, et il aura des personnes qui le suivront et parmi eux beaucoup de Juifs et de Musulmans, parmi ceux qui ont ce type de mentalité.

Sayddina ‘Ali leur dit alors : « Ok, voici le Qour’an (et les Hadiths) ». A l’époque, le Sahih de Boukhari n’existait pas, mais il est clair qu’aujourd’hui, Saydinna ‘Ali aurait placé le Qour’an et Boukhari devant lui. Sayddina ‘Ali se trouvait donc d’un côté et eux se trouvaient de l’autre, avec le Qour’an entre eux. Sayddina ‘Ali leur dit alors : « Laissons-le Qour’an parler, laissons-le décider qui est sur la vérité. » Puis il leur demanda : « Qui va décider ? ». Ils répondirent : « Le Qour’an (ou le Hadith). »

Sayddina ‘Ali plaça sont doigt sur le Qour’an et dit : « Ô Qour’an, parle ! Qui est sur la vérité? Eux, ou moi ? ». (Aujourd’hui il placerait assurément un doigt de son autre main sur al-Boukhari, demandant également : « Ô Boukhari, parle ! Qui est sur la vérité? Eux, ou moi ? »).

Le groupe de gens regardait Sayddina ‘Ali et ils dirent : « Nous pensons que …  », Sayddina ‘Ali les stoppa net et dit : « Shuuuut, vous avez dit que le Qour’an (et la Sunnah) allait parler, pourquoi parlez-vous ? Taisons-nous et écoutons ce que le Qour’an à nous dire… ».

Ils restèrent assis en silence, regardants le Qour’an puis se regardant les uns et les autres.

Sayddina ‘Ali leur dit alors : : « Et bien … j’attends… votre idéologie est celle-ci ! Et si quelqu’un à finalement à parler et doit s’exprimer sur l’interprétation du Qour’an et de la Sunnah, alors qui est plus savant ? Moi qui ait appris directement auprès du Prophète Muhammad pendant des années et des années, ou vous ? ».

Le groupe de gens demeurait assis là et Sayddina ‘Ali ne les laissa pas parler, il leur dit : « Si vous voulez revenir à la compréhension, alors référez-vous aux Compagnons qui eux connaissent tout cela bien mieux que vous. Si vous voulez comprendre le Qou’an (et la Sunnah), c’est aux Sahabas qu’il faut demander ».

Aujourd’hui, nous rencontrons des gens avec cette même mentalité, ils disent : « Oh, nous suivons le Qour’an, nous suivons le Hadith », alors qu’en vérité ils suivent leur propre mentalité et leur propre compréhension du Qour’an et des Hadiths.

Les Musulmans bien guidés, ceux qui font partie d’Ahl as-Sunnah wa l-Jama’a, suivent la compréhension de Saydinna Rassoul Allâh (salallâhou ‘alayhi wassalaam), cette compréhension qu’il a transféré aux Compagnons et que les Compagnons ont ensuite transférée aux grands Imams (Abou Hanifa, Malik, Shafé’i, Ahmad ibn Hanbal, Ibn Sirin…) qui l’ont à leur tour transférée à d’autres savants, qui l’ont ensuite transférée à d’autres savants, etc. jusqu’à ce que cette compréhension nous atteigne aujourd’hui. C’est cela la compréhension.

Comme nous l’enseigne Allâh dans son Livre, as-Siraat al-Mustaqeem (le droit/bon chemin) ne se trouve pas dans les livres, il se trouve dans le cœur et l’esprit de ceux qui ont reçu ce savoir. Allâh ta’ala dit : « Sirata allatheena an’amta ‘alayhim », ce qui signifie « Le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs », c’est-à-dire le chemin des Prophètes, des Véridiques, des (vrais) Martyrs, des Pieux, des Awliyas et des ‘Ulamas qui ont reçus ces sciences et cette compréhension via cette chaîne de transmission.

Les gens qui aujourd’hui piochent dans le Qour’an et dans les livres de Hadiths et disent : « Nous suivons uniquement le Qour’an et la Sunnah » n’ont en vérité aucune garantie à donner qu’il s’agit de la compréhension du Prophète Muhammad ou de celle des Compagnons. Ils ne suivent en réalité que leur propre compréhension de ces textes et celle-ci peut venir du nafs ou de Shaytan.

Voilà la raison pour laquelle nous devons suivre la compréhension d’un Imam (Abou Hanifa, Malik, Shafé’i, Ahmad ibn Hanbal). Voilà la raison pour laquelle nous devons suivre l’une des quatre grandes écoles.

Il y a un Hadith qui est connu, mais surtout très mal compris et qui requiert une attention toute particulière. Lorsque le Messager d’Allâh ﷺ a dit qu’il allait y avoir un groupe qui allait aller au Paradis et que les autres 71 ou 72 allaient aller en enfer, les Compagnons demandèrent : « Quel est ce groupe Ô Rassoul Allâh ? » Le Prophète Muhammad ﷺ ne leur a pas répondu : « Celui qui suit le Qour’an et le Hadith », parce que tous suivent le Qour’an et le Hadith et le Prophète ﷺ sait aussi très bien que toutes les sectes proclameront suivre le Qour’an et le Hadith (la Sunnah). Il répondit : « Le groupe sauvé est celui qui suivra ce sur quoi Moi et mes Compagnons sommes ». On voit donc que c’est leur personnalité et leur compréhension qui est visée et ceux qui suivent cela font partie du groupe sauvé qui ira au Paradis. Cette compréhension a été transmise au travers du temps, de savants à savants, d’esprits à esprits et de cœurs à cœurs et ce jusqu’à nos jours et ceux qui aujourd’hui prétendent posséder cette compréhension sans même l’avoir reçue de savants qui s’inscrivent dans cette lignée sont des menteurs et des falsificateurs.

Le groupe bien guidé est nommé « Ahl as-Sunnah wa l-Jama’a ».

* Sunnah renvoi à la compréhension du Qour’an du Prophète et

* Jama’a renvoi à la compréhension des Compagnons du Hadith.

C’est à partir de ce Hadith (relatif aux groupes) que cette appellation a été créée.

C’est très bien de nous montrer via le Sahih de Boukhari que tel Hadith remonte au Prophète Muhammad ﷺ, mais montrez-nous également que la compréhension de ce Hadith que vous nous donnez remonte aussi Prophète Muhammad. Possédez-vous cette compréhension ou n’avez-vous que le livre en votre possession ? S’ils possèdent cette chaîne de transmission alors qu’ils nous la donnent : Untel Sheykh nous a rapporté de son Sheykh qui rapporte de son Sheykh qui rapporte de ses shuyukhs… qui rapportent que le Messager d’Allâh ou que les Compagnons ont expliqué telle ou telle chose de la manière suivante. Si la personne n’en est pas capable alors elle peut prétendre suivre si ou cela, en vérité elle ne suit que les livres. Clamer « suivre le Kitab et la Sunnah » est un magnifique Slogan, mais il n’est pas possible de suivre le Kitab et la Sunnah sans la compréhension des Compagnons et sans la compréhension d’un Imam.

Si as-Siraat al-Mustaqeem pouvait être expliqué juste à partir des livres alors il n’y aurait pas eu besoin qu’un Messager soit envoyé. C’est la raison pour laquelle saydunna Abd al-Qadir al-Jilaniyy (rahimahouLlâh) a dit : « Le Kalam des ‘Ulamas, le Kalam des Awliyas est comme le Jus du Qour’an et de la Sunnah », ce qui signifie qu’ils en extraient l’essence et vous l’offrent. Autrement, le Qour’an et le Hadith constituent une Science brute qui est ouverte à la mauvaise compréhension, à la mauvaise interprétation et à l’égarement. Seuls les étudiants des Sahabas possèdent cette connaissance et si vous n’avez pas de liens (chaines) avec eux vous n’avez aucune garantie que vous êtes sur as-Siraat al-Mustaqeem.

Imaginiez qu’on vous donne un faux billet, il a beau ressembler au vrai billet, si son origine ne remonte pas au gouvernement officiel qui l’a imprimé, alors ce n’est rien d’autre qu’une contre façon sans valeur, une tromperie.

C’est la même chose pour les autres livres. Une personne n’a pas le droit de dire « Abd al-Qadir al-Jilaniyy a dit ceci » et faire le commentaire de sa parole alors qu’elle ne possède pas une chaîne qui remonte à Abd al-Qadir al-Jilaniyy concernant ce livre et la compréhension de ce livre.

De la même manière, il y a aujourd’hui des gens qui se prétendent Qadiriyy ou qui se prétendent Naqhsbandiyy, ou Shadhili, etc. qui se disent Soufis, qui se disent « spirituels » mais qui ne suivent pas la Sunnah. Ces gens jouent de la musique ou ce genre de choses. Et si on leur demande « Pouvez-vous relier cette pratique ? » Ils peuvent vous donner quelques noms sur quelques générations et après cela ils ne pourront pas aller plus loin, car il n’existe pas de chaines concernant ce type de pratiques.

C’est pourquoi Allâh continue la Fatiha en disant : « ghayri almaghdoobi ‘alayhim wa la ad-dalin », ce qui signifie : « non pas (le chemin) de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés », c’est-à-dire ceux qui malgré tout suivent autre chose que la voie authentique du Messager d’Allâh.

* Maghdoobi renvoi à ceux qui ont la connaissance, mais qui ne la pratiquent pas. Ils savent que le Messager d’Allâh ﷺ et ses Compagnons sont sur la vérité, mais ils ne la suivent pas.

* Wa la ad-dalin renvoi à ceux qui pratiquent, mais qui n’ont pas une science correcte alors ils se sont égarés. Le daaaaaaaaaaaaa (mad) de dalin, montre qu’ils sont partis loiiiiiiiiiiiiiin de la vérité. [1]

Qu’Allâh nous compte parmi ceux qu’Il a favorisés par as-Siraat al-Mustaqeem.

 

Notes :

Article basé sur un Dars de Shaykh Ahmed Dabbagh (hafidhahuLlâh)

[1] Dans des exégèses on trouve que Maghdoobi renvoi aux Juifs, tandis que Wa la ad-dalin renvoi au Chrétiens. Ceci est également vrai, mais il existe plusieurs degrés de compréhension.

Les Asharites et les Maturidites

 

Les deux écoles de croyance Sunnite majoritaires et traditionnelles

 

Sheykh Faraz Rabbani

 

 

Ashari_Maturidi

 

 

Question :

Mes questions concernent les Asharites et les Maturidites. Est-il vrai que les Hanbalites étaient très anti-Ash`ari? J’ai entendu de la part de certaines personnes que la croyance des Salafs (Pieux Prédécesseurs) était celle des « Atharis »et non celle des Ash`arites/Maturidites et que le des choses comme l’interprétation des attributs n’est pas permise. Pouvez-vous s’il vous plaît nous éclairer sur ces points?


Réponse :

Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux

Que la paix et les bénédictions d’Allâh soient sur son messager Muhammad, sa famille, ses Compagnons et ceux qui l’ont suivi.

Walaikum Assalam wa rahmatullah,

Je prie pour que cette réponse vous en bonne santé physique et spirituelle.

Historiquement, il y a bien eu un groupe de Hanbalites qui était plutôt anti-Ash`ari. Certains d’entre eux se méfiaient tout bonnement des nuances de la théologie scolastique (kalam) et craignaient l’impact que cela puisse avoir sur la pureté des croyances contenues dans le Qour’an et la Sunnah. Cependant, il existait également une tendance (très minoritaire) qui penchait vers un littéralisme excessif concernant les croyances et même vers l’anthropomorphisme (attribuer à Allah des caractéristiques des humains).

Les Ash`arites & les Maturidites : Standards de la croyance Sunnite traditionnelle

Voilà pourquoi les savants considèrent les écoles majoritaires Ash`arites et Maturidites comme étant le « standard » par lequel les croyances d’une personne sont susceptibles d’être jugées. Si ces croyances – nommées « ‘Aqida Athari » ou quelque soit le nom donné – correspondent dans le contenu et les implications aux croyances acceptables pour les écoles Sunnites traditionnelles, alors de telles croyances ont été acceptées comme faisant parties du cadre d’Ahl as-Sunnah; et dans le cas contraire, elles ne l’ont pas été.

L’Imam Ash`ari et l’Imam Maturidi faisaient partie du Salaf

L’imam Abu al-Hasan al-Ash`ari et l’Imam Abu Mansur al-Maturidi faisaient tous deux parties du Salaf (l’époque des Musulmans Prédécesseurs, généralement définis comme étant les Pieux qui vivaient dans les trois premiers siècles après l’ère prophétique). Ces deux Imams ont simplement défendus et soutenus les Croyances transmises du Qour’an et de la Sunnah, telles qu’elles ont été comprises par l’Islam Sunnite traditionnel dans chacune des générations précédentes, loin des extrêmes du littéralisme et du rationalisme excessifs.

Leurs enseignements et leur méthodologie ont été acceptés comme étant le standard de l’Islam Sunnite par un consensus général clair de la communauté scientifique à leur époque et dans toutes les génération qui ont suivies, ce qui est un signe d’acceptation Divine selon la promesse claire d’Allâh et de Son Messager (qu’Allah le bénisse et lui donner lui la paix), car Allâh a promis que les enseignements de Sa révélation finale seront préservés tandis que le Prophète Muhammad à promis que sa Ummah ne s’accorderait jamais sur l’erreur [1]

Les attributs Divins et la façon de Reléguer (tafwid) le sens à Allâh

Quand la compréhension des Attributs Divins est susceptible d’indiquer une certaine similitude entre le Créateur et la création, la position des Ash`arites et des Maturidites est la suivante :

1/ confirmer ce qu’Allâh a affirmé, comme l’Istiwa’ ou les Mains (Yad) ou les Yeux (‘Ayn), ni plus, ni moins.
2/ nier ce qu’Allâh a résolument nié, à savoir toute similitude entre le Créateur et la création -une négation que l’intellect sain discerne facilement, et qui a été affirmé par les paroles d’Allah, « Rien n’est tel que Lui… » [2]
3/ reléguer (tafwid) le sens et les détails de ces questions à Allah le Très Haut spécifique.

Références : Bajuri, Tuhfat al-Murid `ala Jawharat al-Tawhid; Nablusi, Sharh Ida’at al-Dujunna; Abu Mu`in al-Nasafi, Tabsirat al-Adilla; Qari/Abu Hanifa, Sharh al-Fiqh al-Akbar; Maydani/Tahawi, Sharh al-Aqida al-Tahawiyya; Bouti, Kubra al-Yaqiniyyat…

Ce fut la voie des Salafs as-Salih

C’est voie a clairement été celle des pieux prédécesseurs (Salafs). Leurs déclarations d’affirmation (sur lesquelles nos frères qui divergent méthodologiquement s’accrochent) ne sont pas des déclarations de littéralisme excessif. Au contraire, ils ont tout simplement affirmé ce qu’Allah a affirmé tout en condamnant fermement ceux qui voudraient nier tout ce qui Allah a affirmé (car cela implique la mécréance, ce qui explique pourquoi leurs déclarations étaient aussi fermes). Cependant, ils n’ont rien affirmé de plus que cela et n’ont pas insisté ni plaider une compréhension littérale de ces affirmations. Ceci parce que le sens littéral (c.-à-d- primaire) de ces questions revient à affirmer la similitude entre le Créateur et la création et de telles similitudes ont été clairement et fermement niées tout au long du Qour’an.

Qu’est-ce que l’interprétation figurative (ta’wil)?

Toutefois, lorsque la nécessité l’imposait, certains savants parmi les prédécesseurs (as-Salafs) ainsi que la plupart des savants parmi les successeurs (Khalaf) ont eu recours à l’interprétation figurative afin de donner un sens à ces textes primaires dits « ambigus », en utilisant les principes solides de la linguistique et de l’interprétation textuelle.

Ces savants avaient pour justification claire les interprétations faites par la plupart des Compagnons du Prophète (bénédiction et salut soient sur lui), notamment Ibn ‘Abbas (qu’Allâh soit satisfait de lui), qui eut également recours à de telles interprétations lorsqu’il en avait besoin. Ceci est clairement constaté dans la plupart des toutes premiers exégèses fiables du Qour’an, comme le Tafsir d’at-Tabari, et aussi dans le propre tafsir de l’Imam Maturidi, Ta’wilat Ahl as-Sunnah.

Les savants postérieurs se sont davantage engagés dans l’interprétation figurative que leurs devanciers, ceci en raison de la plus grande prévalence d’excès littéralistes et des dommages que cela causait aux novices parmi les croyants.

L’interprétation figurative entraîne-t-elle la négation de ce qu’Allah a affirmé (ta`til)?

L’interprétation figurative n’entraine en aucune manière la négation de ce qu’Allâh a affirmé, car cette méthodologie, semblable à celle qui consiste à « reléguer le sens à Allah » (at-tafwid), implique également de :

1/ confirmer ce qu’Allâh a affirmé, comme l’Istiwa’ ou les Mains (Yad) ou les Yeux (‘Ayn).
2/ nier ce qu’Allâh a résolument nié, à savoir toute similitude entre le Créateur et la création -une négation que l’intellect sain discerne facilement, et qui a été affirmé par les paroles d’Allah, « Rien n’est tel que Lui… »

Mais elle diffère par le fait qu’elle :

3/ propose un sens à ces textes, en utilisant les principes établis de l’usage linguistique et de l’interprétation textuelle saine (comme « Main » pouvant signifier le pouvoir ou la faveur, telle qu’on le comprend dans le contexte). Il est très important de noter que cette interprétation figurative consiste à proposer un sens permettant de comprendre la signification du texte – et non une affirmation exclusive du sens (telle que A = B, ce qui signifie que le texte A signifie B, et rien d’autre). [3]

La voie de l’interprétation figurative (at-ta’wil), comme exercée par les savants Sunnites traditionnels des écoles Ash`arites et Maturidites est une indication de ce qui est compris de ces expressions et non une spécification exclusive du sens. Ainsi, la voie de l’interprétation figurative (at-ta’wil) à laquelle les savants ont eu recours uniquement avec la plus grande prudence quand cela était véritablement nécessaire, entraîne également de reléguer la signification ultime à Allâh Ta’ala (tafwid). Ceci est une question importante mais subtile, donc comprenez-la bien!

Et seul Allâh donne le succès.

Sheykh Faraz Rabbani


© Traduit et publié avec l’autorisation de l’honorable sheykh Faraz Rabbani (qu’Allâh le récompense)


Notes :

[1] « En vérité ma communauté ne s’accordera jamais sur l’égarement. A chaque fois que vous assistez à un désaccord, accrochez vous fermement au groupe le plus large »  [Rapporté par Ibn Majah dans ses Sunans]

[2] Qour’an, 42/11

[3] Pour avoir des exemples de ce type d’interprétations utilisées par les savants, lire les articles suivants :

1/ L’interprétation du Wajh [Fâce] d’Allâh selon 4 Tafsirs qui font autorité
2/ L’interprétation du Dahik [Rire] d’Allâh selon les grands savants de l’Islam
3/ L’interprétation du Hadith de la descente d’Allâh (an-Nouzoul) selon les grands savants de l’Islam

Ps : Les deux écoles Asharites et Maturidites sont identiques dans les fondements et les seules divergences qui existent au sein de ces deux écoles sont minimes et uniquement sémantiques (concerne le sens des mots). La majorité des Hanafites sont Maturidites tandis que les Malikites, Shafi’ites et Hanbalites sont principalement Ash’arites.

L’Imâm Hanafite Ash’arite Muhammad Uz Zâhid Al Kawtharî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) a dit : « Ainsi, tous les Mâlikites, les trois quarts des Shâfi’ites, un tiers des Hanafites, et une partie des Hanbalites ont suivi cette approche (ash’arite) en ce qui concerne la théologie, depuis l’époque d’Al Bâqillânî, tandis que les deux tiers des Hanafites suivaient l’approche mâturîdîte dans les demeures qui sont au delà du fleuve, les terres de la Turquie, de l’Afghanistan, de l’Inde, de la Chine, et de tout ce qui est au delà, excepté ceux d’entre eux qui tendaient vers le mu’tazilisme (al i’tizal), comme cela a également été le cas de certains Shâfi’ites. » [Introduction du Tabyîn Kadhib Il Muftarî du Hâfiz Abul Qâsim Ibn ‘Asâkir].

Les Salafis

 

Le Défi Lancé Aux Salafis

 

– Le mythe Salafi de l’avis unique selon le Qour’an et la Sunnah –

 

 

Les Salafis attaquent le suivi des 4 écoles (Malikite, Shafé’ite, Hanbalite et Hanafite) en prétendant qu’il est préférable de suivre « le Qour’an et la Sunnah », comme si les 4 écoles étaient basées sur autre chose que sur le Qour’an et la Sunnah et comme s’il n’existait finalement sur chaque question qu’un seul avis qu’eux seuls détiendraient. Les Salafis ont ainsi trompés les Musulmans en créant l’illusion qu’ils seraient les dépositaires de LA compréhension unique et authentique du Qour’an et de la Sunnah. Derrière les slogans aguicheurs, que se cache-t-il réellement et sont-ils capables d’apporter les preuves de leurs allégations?

 

Les 4 écoles sont en vérité les écoles des Sahabas, elles découlent directement de leur compréhension et de leurs enseignements. Suivre les 4 écoles, c’est suivre le Qour’an et la Sunnah.

Les Salafis prétendent par leur méthodologie unir la Ummah sur un avis unique, supprimant au passage toute possibilité de divergence. En réalité, il ne s’agit que d’un leurre, car lorsqu’on y regarde de plus près, les Salafis ne sont pas un groupe uni, au contraire, ils sont divisés en sept sectes différentes (au minimum).

 

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Photo de la couverture de l’article

 

Dans une fatwa nommée « La prédication Salafis en désordre » [1], Al-Albani reconnait lui-même que la da’awa Salafi est désunie, divisée en groupes et factions, qu’elle est en désordre et part à la dérive à cause du grand nombre de membres qui malgré leur ignorance, se lancent dans la fatwa et se permettent de déclarer halal ou haram telle ou telle chose. Il y a là le triple aveux de la division, de la désunion et de l’ignorance.

Un autre sheykh Salafi nommé Zubair ‘Ali Zai, qui est très connu au Pakistan, a déclaré que rien qu’au Pakistan il existe au moins huit groupes différents de Salafis avec de nombreuses différences et divergences.

Tous ces groupes donnent des avis très différents et se combattent les uns et les autres, car bien entendu chacun se pense mieux guidé que l’autre et n’accepte pas qu’on le contredise ou qu’on puisse être en désaccord avec lui.

Rien que si vous prenez les avis des trois principales références de la da’awah Salafiyya, à savoir al-Albani, Ibn Uthaymeen and Ibn Baz, vous constaterez les innombrables divergences qui existent entre eux, à tel point que même dans la ‘Aqidah ils ne sont pas d’accord. Ceci  amena les Salafis à essayer de trouver quelle méthodologie pourrait bien mettre tout le monde d’accord, ce qui engendra encore davantage d’avis et donc de divergences.

Vous pouvez trouver quelques-unes de ces divergences dans un livre écrit par Sa’d ibn Abdillâh al-Buraykqui nommé « al-Ijaz fi ba’dh ma Ikhtalafa fihi al-Albani wa ibn Uthaymin wa ibn Baz » qui compte deux volumes et pas moins de 1222 pages! Et il ne s’agit là que d’un abrégé. Imaginez si on se mettait à écrire un livre exposant ce sur quoi chaque prédicateur Salafi a divergé… assurément, il faudrait une bibliothèque entière pour contenir toutes ces divergences.

 

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Couverture de « Al-Ijaz fima Ikhtalaf fihi al-Albani wa ibn Uthaymin wa ibn Baz »

 

Imaginez, ces trois références Salafis sont incapables de se mettre d’accord en termes de ‘Aqida, comme c’est rapporté dans le 3ème chapitre de l’ouvrage [2] qui expose quelques-unes de leurs divergences en la matière. De l’autre côté, les 4 écoles (Malikite, Shaféite, Hanafite et Hanbalite) n’ont aucune divergence en matière de ‘Aqida! Les savants des 4 écoles sont tous Ash’arites ou Maturidites, les deux écoles de Croyance d’Ahl as-Sunnah wa-l Jama’a, issues directement des Salafs as-Salihin et tous possèdent la même Croyance. Les seules divergences qui existent au sein de ces deux écoles sont minimes et uniquement sémantiques [3]. Les Salafis eux divergent sur le cœur même de la ‘Aqida. Qu’Allâh nous préserve d’un tel bricolage scientifique.

On a donc d’un côté des milliers et milliers de savants des 4 écoles qui sont en accord sur la ‘Aqida et possèdent la même Croyance sur plus de 1000 années et de l’autre à peine une dizaine de savants contemporains incapables de se mettre d’accord sur ce qu’est la Croyance Musulmane. On voit là de manière flagrante l’amateurisme et les limites de la méthodologie Salafi.

Au lieu d’importuner la Ummah en faisant la promotion d’une pseudo unification d’interprétation du Qour’an et de la Sunnah, les Salafis devraient en premier lieu s’occuper de donner ce conseil à leurs propres savants afin qu’ils commencent à se mettre d’accord entre eux sur leur croyance.

Al-HamduliLlâh, Ahl as-Sunnah wa-l Jama’a est préservé d’une telle errance dans la ‘Aqida.

Il est normal qu’il y ait des divergences dans le Fiqh, on retrouve d’ailleurs ces divergences saines au sein des 4 écoles, chacune pouvant avoir plusieurs avis sur une même question. Mais en terme de ‘Aqida, c’est tout simplement inconcevable et inacceptable.

Ces gens clament haut et fort suivre une seule et unique interprétation du Qour’an et de la Sunnah alors même que leurs savants sont incapables de se mettre d’accord sur une interprétation unifiée du Qour’an et de la Sunnah. C’est pourtant cette divergence qu’ils reprochent aux 4 écoles. La différence, c’est que les 4 écoles viennent directement de la compréhension et de l’enseignement des Sahabas, qu’elles ont directement été élaborées par des Salafs et que le travail considérable qui y a été effectué a ensuite été complété et affiné par des milliers de grands savants de ces écoles. De l’autre côté, la da’awah Salafi est constituée d’une petite poignée de savants contemporains, tristement connus pour ne pas rapporter leur science par chaine de transmission et qui se sont mis en marge de la Ummah tant dans sur la Croyance (‘Aqida) que dans la Jurisprudence (Fiqh) ou dans le rejet des sciences de la Tazkiyya (Purification).

 

Nous lançons maintenant un défi à ceux qui se réclament Salafis :

Conformément à vos prétentions, présentez-nous UNE SEULE ET UNIQUE interprétation du Qur’an et de la Sunnah sur laquelle vos savants soient en accord! On ne vous demande pas que cette interprétation soit celle de la Ummah entière, juste celle de vos savants de référence. C’est un défi vraiment simple pour un groupe minoritaire tel que le vôtre. Dépêchez-vous de relever ce défi, car al-Qiyamah (le Jour du Jugement) arrive à grand pas et vous n’aurez toujours pas relevé ce défi, inshaa Allâh.

 

Nous espérons que ceci suffira à éclairer les esprits et à réveiller les frères et sœurs endormis par le discours de la da’awah Salafiyya.

Nous espérons que vous aurez compris que les slogans tels que « akhy, akhy, il faut uniquement suivre le Qour’an et la Sunnah » ne sont que des mots et ne reflètent aucune réalité.

Qu’Allâh nous sauve de cette fitna
Qu’Allâh nous fortifie dans le suivi des grandes écoles
Qu’Allâh nous maintienne dans notre attachement à nos ainés bien guidés

 

PS : L’article est désormais également dispo en vidéo sur notre chaîne YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=NLFBdfFqtv0

 

Notes :

Basé sur un travail de Sheykh Muhammad Yasir Al-Hanafi

[1] « The Salafi Da’wah is now in disarray », article de 5 pages écrit par Sheykh Nasir ad-Din al-Albani
[2] Page 53 du livre.
[3] Sémantique : Qui concerne le sens des mots.

Pourquoi les quatre Ecoles [madhhabs] ?

Par Sheykh Abdal Hakim Murad
 

 Qouran

 

 

 

Le problème de l’anti-madhhabisme …

Le plus grand succès de la umma, au terme du millénaire passé, est sans doute d’avoir pu, à l’épreuve du temps, maintenir intacte sa cohésion intellectuelle interne. Depuis le cinquième siècle de l’hégire jusqu’à une période récente, et malgré l’aspect tragique des belligérances inter-dynastiques, les musulmans sunnites ont su maintenir entre eux une attitude de respect religieux et de fraternité quasiment infaillible. Il est remarquable que littéralement nulle guerre de religion, émeute ou persécution ne les ait divisés au cours de cette longue période si difficile à maints autres égards.

Un tel résultat est l’exception qui confirme la règle instituée par l’histoire des mouvements religieux. L’avis classique de la sociologie, tel qu’il fut avancé par Max Weber et ses disciples, postule que les religions jouissent à leur genèse d’une période initiale d’unité avant de se déliter dans un factionnalisme croissant, conséquence directe des luttes intestines inter-hiérarchiques. Le Christianisme constitue l’exemple le plus probant de ce paradigme. Mais on pourrait en ajouter bien d’autres, parmi lesquels des croyances séculaires comme le marxisme. A première vue, la capacité propre à l’Islam d’échapper à ce sort est frappante et nécessite une étude approfondie.

Il y a, bien sûr, une explication religieuse élémentaire. L’Islam est la dernière religion, le dernier bus du jour, et a donc été protégé par Dieu de façon à ne pas tomber en totale dégénérescence. Il est vrai que ce que ‘Abdul Wadod Shalabi a nommé « spiritual entropy » [1] existe depuis les débuts de l’Islam. Cette évidence est clairement corroborée par un grand nombre de hadiths. Néanmoins la Providence ne saurait négliger la umma. Les religions antérieures ont partiellement ou complètement dégénéré en schismes et chaos. Mais la piété islamique, bien que sujette à une certaine érosion sur le plan qualitatif, comprend des mécanismes intrinsèques qui lui permettent de conserver une bonne part de cette harmonie caractéristique de son âge d’or. Où que les singeries des émirs et autres politiciens puissent nous mener, la fraternité des croyants, qui fut également de mise chez les premiers Chrétiens comme chez d’autres fidèles demeure, après 1400 ans, un principe incontestable représenté par la plupart des membres de la dernière communauté de référence ayant reçu la Révélation de l’Islam. La raison en est simple et indiscutable : cette religion qui nous a été donnée constitue l’ultime parole de Dieu. Elle se doit donc de rester intacte, de même que ses fondements que sont le tawhid, l’adoration et la sagesse, jusqu’aux Jours Derniers.

Une telle interprétation a un mérite certain. Mais il nous faudra tout de même commenter certaines douloureuses exceptions à la règle, survenues lors des débuts de notre histoire.

Le Prophète (salallahou ‘alayhi wassalam) lui-même a dit à ses Compagnons, dans un hadith rapporté par l’Imam Tirmidhi :

« Quiconque parmi vous me survivra assistera a un grand conflit. »

Les premières ruptures qui ébranlèrent le corps politique de l’Islam sont les suivantes : l’insurrection désastreuse contre ‘Othman (puisse Dieu être satisfait de lui) [2], les dissensions opposant ‘Ali (puisse Dieu être satisfait de lui) à Talha puis à Mu’awiyah [3], ainsi que les scissions sanglantes des Kharijites [4]. Toutes ont engendré la discorde au sein même du corps politique musulman, presque dès le début. Seuls l’équilibre mental intrinsèque et l’amour de l’unité régnant dans les cœurs des savants de la umma et assistés, sans aucun doute, par la Providence, ont aidé à surmonter les agitations initiales causées par ces discordes pour finalement créer un Sunnisme puissant et harmonieux qui a, au moins à un niveau purement religieux, uni 90% de la umma pour 90% de son histoire.[5]

Nous sommes aujourd’hui en proie à des divisions de plus en plus profondes. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il nous sera très utile d’examiner minutieusement les forces qui nous ont divisé dans le passé. Elles étaient nombreuses, parfois très excentriques. Mais seules deux d’entre elles ont tourné en mouvements populaires massifs, engendrés par une idéologie religieuse et en rébellion active contre le credo et l’érudition majoritaires. On les a nommées Kharijisme et Shiisme pour de bonnes raisons. Contrairement au Sunnisme, elles ont produit de nombreux groupes dissidents et mouvements dérivés. Mais du fait de leurs respectives divergences de position vis-à-vis de l’opinion mainstream sur la question clé de l’autorité religieuse en Islam, elles sont tout de même restées deux traditions dissidentes identifiables.

Confrontés à ce qu’ils considéraient être un glissement moral sous le règne des premiers califes, les partisans posthumes de ‘Ali (puisse Dieu être satisfait de lui) développèrent une théorie d’autorité religieuse qui se distingua des visions égalitaires précédentes en les agrémentant d’une succession charismatique d’Imams.

Nous ne nous étendrons pas sur le problème de savoir si cette idée a pu être influencée par le passé chrétien oriental de certains convertis de l’époque qui avaient été nourris par l’idée d’une succession apostolique mystique du Christ, un don qui octroyait supposément à l’Eglise l’unique pouvoir de pénétrer son message au cours des générations futures. Par contre, il faut souligner que le Chiisme s’est développé sous une multitude de formes en réponse à ce qui était largement perçu par les acteurs de la société islamique d’alors comme un manque d’autorité religieuse.

Le temps des ‘Califes bien guidés’ arriva à son terme et les dirigeants Omeyyades s’écartèrent d’une manière de plus en plus manifeste du mode de vie que leur fonction d’ ‘émirs des croyants’ aurait dû honorer. Dans un tel contexte, les écoles de fiqh de l’époque, qui présentaient de nombreuses divergences et s’étaient formées depuis peu, semblaient inaptes à mener fermement et sans équivoque les affaires religieuses. D’où l’idée souvent irrésistible d’un Imam infaillible [6].

Cette interprétation de la montée de l’imâmisme aide aussi à expliquer la seconde grande phase de l’expansion chiite. Avec le succès du renouveau sunnite du cinquième siècle, quand le Sunnisme fut enfin considéré comme un système totalement fonctionnel, le Chiisme connut un léger déclin. Son expression extrême, se manifestant à travers l’Ismaélisme, fut sévèrement attaquée par l’Imâm al-Ghazali dont le livre « Les scandales des Batinites » révéla et réfuta leurs doctrines secrètes avec une force foudroyante [7]. Ce déclin de l’engouement chiite ne s’estompa qu’au milieu du septième siècle, après que les hordes mongoles de Gengis Khan eurent envahi et obstrué les terres centrales du monde musulman. L’attaque fut d’une dureté impensable : il est dit, par exemple, que parmi les 100.000 habitants de la ville de Herat, seuls quarante survivants sortirent des ruines fumantes pour faire le compte des dégâts [8]. A la suite de cette vague de troubles, des turcomans à peine convertis immigrèrent, et dans un contexte de crainte, de turbulences et d’attente messianique, et parce que tous les savants sunnites des villes étaient morts, ils se tournèrent plus facilement vers des formes extrêmes de croyances chiites [9]. Le triomphe du Chiisme en Iran, un pays qui fut d’abord attaché au Sunnisme, date de cette période douloureuse [10].

A cette époque, l’autre grand mouvement dissident de l’Islam fut celui des kharijites, littéralement, les sécessionnistes, appelés ainsi car ils se séparèrent de l’armée du Calife ‘Ali lorsqu’il accepta un arbitrage entre lui et Muawiyah pour mettre fin à leur conflit. Sur la base de la sentence coranique ‘Le jugement n’appartient qu’à Dieu’, ils combattirent froidement l’armée de ‘Ali qui comprenait certains des Compagnons les plus éminents, jusqu’à ce qu’en l’an 38, l’Imam ‘Ali les batte à la bataille de Nahrawan, où 10.000 d’entre eux périrent [11].

Si les premiers Kharijites furent éliminés, le kharijisme lui-même subsista. Sa doctrine s’averra être l’exact opposé du chiisme, rejetant toute idée d’autorité héritée ou charismatique, et insistant sur le fait que la piété seule devait influer sur le choix du dirigeant de la communauté des croyants. Elle fut établie par des critères considérablement simplistes : les premiers kharijites étaient réputés pour leurs dévotions extrêmement drastiques et pour la doctrine rigide qui déclare le Musulman grand pêcheur mécréant. Cette excuse qu’était le takfir (l’excommunication) permit aux groupes kharijites qui campaient sur des territoires montagneux reculés du Khuzestân d’attaquer les lieux d’habitation des Musulmans qui avaient suivis les autorités omeyyades. Les non-kharijites étaient régulièrement massacrés lors de ces opérations, qui déclenchèrent de froides récidives de la part de généraux Omeyyades très fermes comme al-Hajjaj ibn Yussuf. Mais bien que leur cause fût clairement sans espoir, les attaques des kharijites persistèrent. Le Calife ‘Ali radiallahanhou.gif fut assassiné par ibn Muljam, un survivant de Nahrawan, tandis que le savant du hadith, l’imam al-Nasai, auteur d’une des collections de sunan qui font autorité, fut lui aussi tué par des fanatiques kharijites à Damas en 303/915. [12]

De même que le chiisme, le kharijisme fut la cause d’instabilités en Irak et en Asie Centrale, et parfois même ailleurs, et ce jusqu’aux quatrième et cinquième siècles de l’ère islamique. A cette époque, un grand tournant historique eut lieu. Le Sunnisme s’organisa en un système très précis qui se développa si harmonieusement et fut si ouvertement adopté par la grande majorité des ulémas que l’attrait pour les mouvements rivaux diminua rapidement.

Voici ce qui arriva. L’Islam sunnite, qui occupait le terrain central, entre les deux extrêmes que représentaient le kharijisme égalitariste et le chiisme hiérarchique, avait longtemps été troublé par des disputes concernant son propre concept d’autorité. Pour les sunnites, l’autorité, par définition, trouvait sa source dans le Coran et la Sunna. Mais face à une immense quantité de hadiths – qui avaient été dispersés sous des formes et des récits variés d’un bout à l’autre du monde islamique à la suite des migrations des Compagnons et des Tabi’un – il était parfois difficile d’interpréter la Sunna. Même une fois que les hadiths authentiques eurent été extraits de ce corpus gigantesque, ce qui s’élevait encore à plusieurs centaines de milliers de hadiths, certains d’entre eux semblaient en contredire d’autres, ou même contredire certains versets du Coran. Il était certain que des approches simplistes, comme celle des kharijites en particulier, qui avaient établis un petit corpus de hadiths et en dérivaient directement les bases de leur doctrine ainsi que de leur loi, ne pouvaient pas fonctionner. Les contradictions internes étaient trop nombreuses et les interprétations qui en découlaient trop complexes pour que des qadis (juges) puissent prononcer des jugements simplement en ouvrant le Coran et les recueils de hadiths à la bonne page.

Les raisons derrière ces contrastes apparents entre de nombreux textes révélés ont été examinées de près par les premiers ulémas, souvent au cours de riches débats entre grands esprits comblés de mémoires photographiques des plus parfaites. Une bonne partie de la science des principes légaux islamiques (usul al-fiqh) a été développée pour établir des mécanismes logiques permettant de résoudre de tels conflits tout en préservant l’esprit traditionnel de l’Islam. Tous les étudiants en jurisprudence islamique reconnaissent en l’expression taarud al-adilla (contradiction entre dalils, càd. entre preuves textuelles) l’un des concepts légaux islamiques les plus sensibles et complexes [13]. Certains savants des premières générations comme Ibn Qutayba se sont sentis obligés de consacrer des livres entiers à ce sujet [14]. Les savants de usul ont basé leurs études en postulant que les conflits entre textes révélés n’étaient rien de plus que des conflits d’interprétation et qu’ils ne pouvaient être considérés comme des incohérences au niveau du message légal transmis par le Prophète (salallahou ‘alayhi wassalaam). Le message de l’Islam avait été parfaitement propagé avant le décès de ce dernier ; et le rôle des savants qui venaient après lui était exclusivement d’interpréter, et non de modifier.

Conscient de cela, le savant de l’Islam, en examinant des textes problématiques, commence par faire des tests méthodiques et réfléchit à des méthodes de résolution. Le système établi par les premiers savants était le suivant : si deux paroles coraniques ou hadiths semblent se contredire, le savant doit d’abord analyser les textes au niveau linguistique, pour voir si la contradiction n’est pas due à une mauvaise interprétation de l’arabe. Si cette contradiction ne peut être résolue ainsi, il tente de déterminer, sur la base d’une série de techniques textuelles, légales et historiographiques, si l’un d’entre eux est sujet au takhsis, c’est-à-dire qu’il ne s’applique qu’en certaines circonstances, et qu’il constitue donc une exception spécifique à un principe plus général figurant dans l’autre texte. [15]

Le juriste doit également considérer le statut textuel des écrits, en se fondant sur le principe en vertu duquel un verset coranique, de même qu’un hadith rapporté par plusieurs isnads (mutawatir ou mashhur), ont prédominance sur un hadith rapporté par une seule isnad (chaîne de transmission ; ce type de hadiths est nommé ahad). [16] Si, après avoir appliqué tous ces mécanismes, le juriste constate que le conflit perdure, il doit alors considérer la possibilité qu’un des textes ait pu être officiellement abrogé (naskh) par l’autre. Ce principe de naskh montre bien qu’en examinant le problème délicat de taarud al-adilla, les ulémas sunnites ont basé leur approche sur des principes textuels qui avaient déjà été admis à maintes reprises du vivant du Prophète. Les Compagnons savaient par ijma que sous le règne du Prophète, où il les instruisit, les éduqua et les sortit de la violence du paganisme pour les mener sur le chemin plus sobre et miséricordieux du monothéisme, son enseignement avait été modelé par Dieu pour mieux s’adapter à leur développement. Le cas le plus connu est l’interdiction progressive du vin, qui fut découragé par un premier verset coranique, puis désapprouvé et finalement interdit [17]. Un autre exemple, concernant un principe encore plus central, était la prière canonique, que les premiers Musulmans de la umma avaient été tenus d’accomplir seulement deux fois par jour au début, mais qui, à la suite du mi’raj, devint obligatoire cinq fois par jour [18]. Le mutah (mariage temporaire) avait été permis aux débuts de l’Islam, mais fut ensuite prohibé quand les conditions sociales se développèrent, quand le respect pour les femmes augmenta et la morale s’affermit [19]. Il y a plusieurs autres exemples à cette évolution, la plupart remontant aux années suivant immédiatement la hijrah, période durant laquelle le développement de la jeune umma fut en constant mouvement.

Il y a deux types de naskh : l’explicite (sarih) et l’implicite (dimni). [20] Le premier est facilement identifiable, étant donné qu’il concerne des textes qui spécifient expressément qu’une règle précédente est modifiée. Par exemple, un verset du Coran (2 :142) ordonne les Musulmans de se tourner pendant la prière vers la Ka’ba plutôt que vers Jérusalem. [21] C’est encore plus courant pour les paroles prophétiques ; par exemple, dans un hadith rapporté par l’Imam Muslim, il est dit : « Je vous interdisais de visiter les tombes ; mais à présent, visitez-les ! » [22] Pour commenter cette parole, les ulémas du hadith expliquent que dans les premiers temps de l’Islam, quand les pratiques idolâtres étaient encore ancrées dans les mémoires des gens, il avait été interdit de visiter les tombes de peur que des Musulmans fraîchement convertis commettent le shirk. Cependant, lorsque le monothéisme s’affermit dans le cœur des Musulmans, cette prohibition fut levée, n’étant plus nécessaire, si bien qu’aujourd’hui, il est recommandé aux Musulmans de visiter les tombes pour prier en faveur des morts et garder présent à l’esprit la Vie Dernière, al-akhira. [23]

L’autre type de naskh est plus subtil, et a souvent poussé les premiers ulémas à aller au bout de leurs possibilités intellectuelles. Il concerne des textes qui annulent ou modifient substantiellement des documents plus anciens sans l’énoncer explicitement. Les ulémas ont relevé plusieurs exemples de ce type, dont les deux versets de la sourate al-baqarah qui donnent des instructions divergentes à propos de la période durant laquelle les veuves doivent attendre avant de se remarier (2 : 240 et 234) [24]. Pour ce qui est des hadiths, rappelons-nous par exemple qu’un jour, le Prophète a demandé à ses Compagnons de rester assis derrière lui alors qu’il priait ainsi parce qu’il était malade. Ce hadith est rapporté par l’Imam Muslim. Cependant, un autre hadith, également rapporté par Muslim, mentionne un incident au cours duquel les Compagnons prièrent debout, alors que le Prophète était assis. La contradiction apparente fut résolue par une analyse chronologique scrupuleuse qui révéla que la deuxième scène s’était déroulée après la première, et donc avait priorité sur cette dernière. [25] Cela a été dûment rapporté dans les livres de fiqh des plus grands érudits.

Les techniques d’identification du naskh ont permis aux savants de résoudre la plupart des cas de taarud al-adilla. Elles nécessitent une connaissance rigoureuse et détaillée non seulement des disciplines du hadith, mais aussi de l’histoire, de la sirah, et des opinions tenues par les Compagnons ainsi que les autres savants sur les circonstances de la genèse et de l’exégèse du hadith en question. Dans certains cas, les savants du hadith voyageaient d’un bout à l’autre du monde islamique pour recueillir les informations nécessaires à la compréhension d’un seul hadith. [26]

Dans le cas où l’abrogation ne peut être prouvée malgré tous les efforts déployés, les ulémas du salaf ont décidé qu’il était nécessaire de faire d’autres tests, dont l’importante analyse du matn (le texte transmis, plutôt que l’isnad du hadith).[27] De même, on considère que les paroles claires (sarih) ont préséance sur les allusives (kinayah), et les formules catégoriques (muhkam) sur des formes plus équivoques telles les paroles interprétées (mufassir), dissimulées (khafi) et problématiques (mushkil). [28] Il peut aussi être nécessaire de considérer le positionnement des narrateurs de hadiths conflictuels ; la narration d’une personne impliquée personnellement est alors prioritaire. Par exemple, selon un hadith connu rapporté par Maymunah, le Prophète l’a épousée alors qu’il n’était pas en état d’ihram (sacralisation pour le pèlerinage). Etant donné que sa narration était celle d’un témoin visuel, son hadith a préséance sur la narration conflictuelle de Ibn Abbas, rapportée par une chaîne de transmission (isnad) tout aussi fiable, qui dit que le Prophète était en état d’ihram à ce moment là. [29]

Il existe plusieurs autres règles, comme celle selon laquelle ‘une interdiction a préséance sur une autorisation. [30] De même, des hadiths conflictuels peuvent être départagés en utilisant la fatwa d’un Compagnon, après avoir scrupuleusement comparé et évalué toutes les fatwas concernées [31]. Finalement, on peut avoir recours au qiyas (analogie). [32] Par exemple, différentes narrations à propos de la prière de l’éclipse solaire (salat al-kusuf) indiquent des nombres variables d’inclinaisons et de prosternations. Les ulémas, après avoir méticuleusement examiné les narrations et n’avoir pu lever l’antagonisme par aucune des méthodes exposées ci-dessus, ont appliqué le raisonnement analogique en concluant que la prière en question étant toujours appelée salah, la forme normale de la salah doit être suivie, en s’inclinant une fois et se prosternant deux fois. Les autres hadiths sont donc écartés. [33]

Cette articulation méticuleuse des méthodes de résolution de textes sources conflictuels, primordiale pour extraire à partir des sources révélées les règles de la shari’ah, fut tout d’abord mise en place par l’Imam Shafi’i. Confronté à la confusion et aux désaccords entre les juristes de son époque, et déterminé à établir une méthodologie cohérente qui permettrait d’établir un fiqh dépourvu de toutes erreurs, dans les limites de la contingence humaine, Shafi’i écrivit sa magnifique Risalah (Traité de jurisprudence islamique). Ses idées furent bien vite adoptées, dans différents contextes, par des juristes des autres traditions légales majeures ; et de nos jours, elles tiennent une place fondamentale dans l’application officielle de la Shari’ah. [34]

Ce système de Shafi’i, qui permet de limiter les erreurs en dérivant des règles légales à partir d’une masse de textes primaires, se répandit sous le nom d’usul al-fiqh (les racines du fiqh). Comme la plupart des autres disciplines académiques officielles de l’Islam, ce n’était pas une innovation néfaste, mais plutôt une élaboration à partir de principes que l’on pouvait déjà discerner du temps des premiers Musulmans. Avec le temps, chacune des grandes traditions interprétatives de l’Islam sunnite codifia ses propres variations sur ces bases, laissant ainsi se développer parfois des branches divergentes (id est des règles de pratique religieuse spécifiques). Bien que les débats qui en découlaient fussent parfois tenaces, ils étaient néanmoins insignifiants comparés aux grands différents sectaires et légaux qui avaient vu le jour au cours des deux premiers siècles de l’Islam, jusqu’à ce que la science d’usul al fiqh vienne mettre fin à de telles discordes chaotiques.

Il est à peine nécessaire de rappeler que malgré le fait que les quatre Imams, Abu Hanifa, Malik Ibn Anas, al Shafi’i et Ibn Hanbal, soient considérés comme les fondateurs de ces quatre grandes traditions, que nous pourrions définir schématiquement, si cela nous était demandé, comme un ensemble de techniques mises en place pour éviter les innovations, leurs traditions ne furent complètement normalisées que par des générations de savants plus tardives.

Les ulémas sunnites reconnurent rapidement l’autorité des quatre Imams, et nous savons qu’à la fin du troisième siècle islamique, la quasi-totalité des savants avaient adhéré à l’une de leurs approches. Les grands spécialistes du hadith, dont al-Bukhari et Muslim, suivaient tous fidèlement l’un ou l’autre madhhab, et en particulier celui de l’Imam Shafi’i. Mais les grands érudits de chaque madhhab continuèrent à améliorer et à affiner les fondements et les branches de leurs écoles. Dans certains contextes historiques, cela fut non seulement possible, mais nécessaire. Par exemple, certains savants de l’école d’Abu Hanifa, laquelle reposait sur les fondements des premières écoles légales de Kufa et Basra, étaient prudents vis-à-vis de certains hadiths circulant en Irak, du fait de la grande proportion de falsifications engendrées par les fortes influences sectaires qui sévissaient à cet endroit. Plus tard cependant, quand les recueils canoniques de Bukhari, Muslim et d’autres savants furent disponibles, les générations de savants hanafites qui suivirent prirent en compte l’intégralité du corpus de hadiths, en explicitant et retouchant leur madhhab. Deux siècles s’écoulèrent avant que les écoles n’atteignent une parfaite stabilité durant les cinquièmes et sixièmes siècles de l’Hégire. [35]

Ce fut également à cette époque que l’attitude de tolérance et de bonne opinion vis-à-vis des autres écoles se répandit. Cette qualité fut formulée par l’Imam al-Ghazali, lui-même auteur de quatre manuels de fiqh shafi’ite [36] mais également du Al Mustafa, largement reconnu comme l’ouvrage d’usul le plus avancé et méticuleux, usul al-fiqh fi al-madhhab. En vertu de son amour bien connu pour la sincérité et de son dégoût des rivalités ostentatoires des savants, il condamna sévèrement ce qu’il appela « l’attachement fanatique à un madhhab. » [37] De même que le Musulman se devait de suivre un madhhab reconnu pour éviter le danger fatal de mal interpréter les sources, il ne devait jamais tomber dans le piège de considérer sa propre école catégoriquement meilleure que les autres. A de rares exceptions près sous le règne ottoman, les grands savants de l’Islam sunnite suivirent l’ethos défini par l’Imam al-Ghazali et furent clairement respectueux des autres madhhabs. Quiconque a étudié sous l’autorité d’un savant traditionnel en est totalement conscient. [38] Contrairement à ce que certains orientalistes ont avancé [39], l’évolution des quatre écoles n’a pas étouffé la capacité d’affinement ou d’extension du droit positif. [40] Au contraire, des mécanismes sophistiqués existaient, qui non seulement permettaient à des personnes qualifiées de dériver la shari’ah de leur propre chef à partir du Coran et de la Sunna, mais leur imposait même cela ; d’après la plupart des savants, un expert accompli qui maîtrise parfaitement les sources et qui remplit un certain nombre de conditions d’érudition n’est pas autorisé à suivre l’avis répandu dans son école, mais se doit de dériver les règles lui-même à partir des sources révélées. Un tel individu est appelé mujtahid [41], un terme qui trouve sa source dans le fameux hadith de Muadh ibn Jabal. [42]

Rares sont ceux qui nieraient sérieusement que tout Musulman qui s’aventure au-delà de l’opinion experte répandue et qui a directement recours au Coran et à la Sunna se doit d’être un savant extrêmement éminent. Le danger de personnes moindrement compétentes, comprenant mal les sources et par conséquent susceptibles de nuire à la shari’ah est bien réel, comme le prouvent la discorde et le différent qui affligèrent certains Musulmans des premières générations et même plusieurs Compagnons, à l’époque qui précéda l’instauration des écoles orthodoxes.

Avant l’Islam, des religions entières avaient été renversées par une connaissance scripturaire trop superficielle, et l’Islam doit absolument être protégé d’un tel sort.

Pour protéger la shari’ah des dangers de l’innovation et de l’altération, les grands savants de l’usul ont établis des conditions drastiques qui doivent être remplies par quiconque souhaite se proclamer capable d’ijtihad. [43] Ces conditions sont les suivantes :


a) Une maîtrise parfaite de la langue arabe, pour minimiser les chances de mal interpréter la Révélation pour des raisons d’ordre purement linguistique ;

b) Une connaissance profonde du Coran, de la Sunna, et des circonstances liées à la révélation de chaque verset et hadith, de même qu’une connaissance complète des commentaires du Coran et des hadiths, ainsi que d’une maîtrise parfaite de toutes les techniques d’interprétation mentionnées ci-dessus ;

c) Une connaissance des disciplines spécialisées du hadith, comme celle de l’évaluation des rapporteurs et du matn (texte) ;

d) Une connaissance des opinions tenues par les Compagnons, les Suivants et les grands Imams, ainsi que des positions et des raisonnements exposés dans les manuels de fiqh, de même que la connaissance des cas où un consensus (ijma’a) a été atteint ;

e) Une connaissance de la science de l’analogie juridique (qiyas), de ses types et conditions ;

f) Une connaissance de sa propre société et de l’intérêt publique (maslahah) ;

g) Une connaissance des objectifs généraux (maqasid) de la shari’ah ;

h) Un haut degré d’intelligence et de piété personnelles, combiné aux vertus islamiques que sont la compassion, la courtoisie et la modestie ;

Un savant qui remplit ces conditions peut être considéré mujtahid fi al-shar et n’est ni obligé, ni même autorisé à suivre un madhhab existant reconnu. [44] C’est ce que certains Imams ont voulu dire quand ils ont interdit à leurs grands disciples de les imiter sans esprit critique. Mais pour le bien plus grand nombre de savants dont les compétences n’ont pas atteintes des sommets si vertigineux, il est possible de devenir mujtahid fi al-madhhab, un savant qui reste largement convaincu des préceptes de son école, mais qui peut diverger de l’opinion répandue au sein de celle-ci. [45] Il y a eu plusieurs exemples de ce type de personnes, dont l’Imam al-Nawawi chez les shafi’ites, le Qadi Ibn ‘Abdu al-Barr chez les malikites, Ibn Abidin chez les hanafites, et Ibn Qudama chez les hanbalites. Tous ces savants considéraient qu’ils suivaient les principes interprétatifs fondamentaux de leur propre madhhab, mais sont connus pour avoir utilisé leurs propres connaissances et avis pour émettre de nouvelles opinions dans leurs écoles respectives. [46] C’est à ces experts que les Imams mujtahid ont adressé leur conseil concernant l’ijtihad, comme dans l’instruction suivante de l’Imam Shafi’i : « Si vous trouvez un hadith qui va à l’encontre de mon verdict, alors suivez le hadith. » [47]. Il est évident que quoique puissent s’imaginer certains écrivains contemporains, de tels conseils ne furent jamais adressés aux masses islamiquement incultes.

L’Imam al-Shafi’i ne s’adressait pas à une foule de bouchers, veilleurs de nuit et âniers. D’autres catégories de mujtahids ont été répertoriées par les savants de l’usul ; mais les distinctions qui les caractérisent sont subtiles et sortent de notre sujet. [48] Les catégories restantes peuvent cependant être réduites à deux : le muttabi’ (celui qui suit), qui suit son madhhab tout en étant conscient des textes coraniques et des hadiths ainsi que du raisonnement qui détermine les positions de son école [49], et deuxièmement le muqallid (l’émule), qui se conforme simplement au madhhab, s’en remettant à ses savants sans nécessairement connaître le raisonnement détaillé derrière ses milliers de règles. [50]

Il est clairement recommandé au muqallid d’apprendre les preuves formelles de son madhhab autant que faire se peut. Mais il est également clair que tout Musulman ne peut être un érudit. Devenir savant demande beaucoup de temps, et pour que la umma fonctionne correctement, il est nécessaire que la plupart des gens exercent d’autres fonctions : comptables, soldats, bouchers, etc. [51]

On ne peut espérer d’eux qu’ils deviennent également de grands ulémas, même en supposant que tous disposent d’une intelligence à la hauteur de ce rôle. Le Saint Coran lui-même ordonne aux croyants moins avertis de faire appel à des savants qualifiés :

{Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas.} (16 ; 43) [52] (D’après les experts du tafsir, les ‘gens du rappel’ sont les savants).

Et dans un autre verset, les Musulmans sont enjoints d’établir et de maintenir un groupe de spécialistes qui ont autorité d’assistance vis-à-vis des non-spécialistes. {Pourquoi des groupes choisis parmi les tribus ne se mettraient-ils pas à l’écart en vue d’approfondir leur religion (yatafaqqahû fi-d-dîn) et de mettre en garde leur communauté une fois que ses membres seront revenus auprès d’eux ?} (9 ; 122).

Etant donné de l’immense expertise nécessaire pour bien comprendre les textes révélés, et les graves avertissements que nous avons reçus, qui mettent en garde contre toute altération de la Révélation, il est clairement du devoir des Musulmans ordinaires de suivre l’opinion des experts, plutôt que de s’en remettre à leur propre raisonnement et à leur connaissance limitée. Ce devoir évident était très connu des premiers Musulmans : le Calife Omar suivit certaines règles édictées par Abû Bakr  en disant qu’il aurait été honteux vis-à-vis de Dieu de différer de l’opinion de ce dernier. Et Ibn Massoud  à son tour, malgré le fait qu’il était un mujtahid dans le sens le plus large du terme, suivit ‘Omar  à plusieurs reprises. Selon al-Shabi, six des Compagnons du Prophète  donnaient des fatwas au peuple : Ibn Massoud, Omar ibn al Khattab, Ali, Zayd ibn Thabit, Ubayy ibn Kab and Abû Moussa (al Ashari), que Dieu soit satisfait d’eux. Et trois d’entre eux mettaient de côté leurs propres jugements en faveur du jugement de trois autres : ‘Abdullah (Ibn Massoud) abandonnait son jugement en faveur de celui d’Omar, Abû Moussa abandonnait le sien en faveur de celui d’Ali, et Zayd ferait de même en faveur d’Ubayy Ibn Kab.[53]

Cette règle qui invite expressément à suivre un grand Imam qui connaît la Sunna plutôt que de s’en remettre à soi-même concerne particulièrement les Musulmans des pays tels la Grande-Bretagne [ou la France], parmi lesquels seul un petit nombre a le droit de faire ce choix. Ceci pour la simple raison que même si on le désire, il n’est pas possible de lire tous les hadiths ayant trait à un cas particulier si l’on ne maîtrise pas l’arabe [54] : pour diverses raisons, incluant leur taille vertigineuse, seule une dizaine de collections de hadiths ont été traduites en anglais [et / ou en français]. Il en reste bien plus de trois cent autres, incluant des travaux séminaux comme le Musnad de l’Imam Ahmad ibn Hanbal [55], le Musannaf de Ibn Abi Shayba [56], le Sahih de ibn Khuzayma [57], le Mustadrak de al-Hakim [58] et bien d’autres collections en plusieurs tomes, qui contiennent de nombreux hadiths authentiques ne pouvant être trouvés dans Bukhari, Muslim, et les autres travaux qui ont été traduits jusqu’ici. Même en admettant que les traductions existantes soient absolument parfaites, seuls ceux qui ont accès à l’arabe peuvent donc éventuellement tenter de dériver la Shari’a directement à partir du Livre et de la Sunna. Essayer de discerner la Shari’a sur la seule base des hadiths qui ont été traduits signifierait ignorer et amputer une bonne partie de la Sunna, menant ainsi à de sérieuses distorsions. [59]

Je donnerai deux exemples. Pour ce qui est de la conduite à tenir vis-à-vis des cas légaux, les madhhabs sunnites ont établi que les punitions canoniques (hudud) ne devraient pas être appliquées si il y a la moindre ambiguïté, et que le qadi est tenu de faire tout son possible pour en prouver l’existence. Une lecture amatrice des six collections authentiques ne trouvera nulle confirmation de ce principe [60]. Mais la règle madhhabique se base sur un hadith rapporté par une chaîne authentique et consigné dans le Musannaf de Ibn Abi Shayba, le Musnad de al-Harithi, et le Musnad de Musaddad ibn Musarhad. Le texte dit : ‘Evitez les hudud par le biais des ambiguïtés. [61] L’Imam al-Sanani, dans son livre Al-Ansab, explique les circonstances de ce hadith :

« Un homme fut trouvé ivre, et on l’amena à ‘Omar, qui ordonna que le hadd de quatre-vingt coups de fouet soit exécuté. Lorsque ce fut terminé, l’homme s’écria : « Omar, tu as été injuste à mon égard, je suis un esclave ! » (La peine est diminuée de moitié pour les esclaves). Sur ce, ‘Omar fut saisi de remords et récita le hadith prophétique : ‘Evitez les hudud par le biais des ambiguïtés.’ » [62]

Un autre exemple est celui de la coutume de l’istighfar au profit des autres Musulmans lors du Hajj. Selon un hadith, « Le hajji est pardonné, de même que ceux pour qui le hajji prie. » Ce hadith n’est rapporté dans aucune des collections traduites jusqu’ici en anglais ou en français ; cependant, il apparaît dans plusieurs autres collections, incluant al-Mu’jam al-Saghir de al-Tabarani et le Musnad de al-Bazzar. Sa chaîne (isnad) est authentique. [63]

Un troisième exemple concerne la pratique importante et reconnue par les madhhabs d’accomplir les prières sunna aussi rapidement que possible après la prière obligatoire de Maghrib. Le hadith dit : « Dépêchez-vous d’accomplir les deux rak’as après le maghrib, car ils sont élevés (au ciel) avec la prière obligatoire. » Ce hadith est rapporté par l’Imam Razin dans son Jami.

Du fait de la traditionnelle crainte pieuse d’altérer la loi de l’Islam, l’écrasante majorité des grands savants du passé – certainement bien plus de quatre-vingt dix neuf pour cent d’entre eux – ont adhéré fidèlement à un madhhab. [64]

Il est vrai que durant le quatorzième siècle, un siècle de troubles, quelques dissidents virent le jour, tels Ibn Taymiyyah et Ibn al-Qayyim ; [65] mais même ces deux hommes se sont bien gardées de jamais préconiser que des Musulmans moyennement éduqués se hasardent à faire de l’ijtihad sans recourir à des mains expertes. Et dans tous les cas, bien que ces auteurs aient été récemment ressuscités et rendus proéminents, leur influence sur les savants orthodoxes de l’Islam classique a été négligeable, comme en témoigne le faible nombre de manuscrits en leurs noms préservés dans les grandes librairies du monde Islamique. [66]

Cependant, au cours du siècle passé, des turbulences sociales ont permis à plusieurs écrivains de percer qui prônèrent l’abandon d’une érudition officielle. Les représentants les plus éminents de cette campagne étaient Mohammad ‘Abduh et son élève Mohammad Rachid Rida. [67] Éblouis par le succès de l’Occident, et secrètement influencés par leur propre engagement bien connu dans la franc-maçonnerie, ces hommes incitèrent les Musulmans à se débarrasser des chaînes du taqlid et à rejeter l’autorité des quatre écoles.

Aujourd’hui, dans certaines capitales arabes, et surtout dans les lieux où la tradition locale d’érudition orthodoxe a été affaiblie, on voit souvent de jeunes arabes remplir leurs maisons de toutes les collections de hadiths sur lesquelles ils peuvent mettre la main, et s’y plonger en croyant, semble-t-il, qu’ils ont moins de chance de mal interpréter cette littérature vaste et complexe que l’Imam Shafi’i, l’Imam Ahmad, et les autres grands Imams. Cette approche irresponsable, bien qu’elle ne soit pas encore trop répandue, semble en voie d’ouvrir la porte à des opinions extrêmement divergentes qui ont [déjà] sérieusement commencé à détruire l’unité, la crédibilité et l’efficacité du mouvement islamique, et ont provoqué des discussions tendues autour de questions qui avaient pourtant été résolues par les grands Imams il y a plus de mille ans. [68]

Il est désormais monnaie courante de voir de jeunes activistes traînant dans les mosquées critiquer d’autres fidèles pour ce qu’ils croient être des défauts d’adoration, même lorsque leurs victimes suivent en fait les règles édictées par certains grands Imams de l’Islam. L’atmosphère nauséabonde et pharisaïque qui en résulte dissuade ainsi beaucoup de Musulmans moins engagés que ceux-là de se rendre dans les mosquées. Désormais, plus personne ne se souvient de l’avis des anciens ulémas selon lequel les Musulmans se doivent de tolérer des interprétations divergentes de la Sunna du moment que ces interprétations ont été tenues par des savants renommés.

Comme l’a dit Sufyan al-Thawri : « Si vous voyez un homme faire quelque chose à propos de quoi les savants divergent, et que vous-mêmes pensez que c’est interdit, vous ne devriez pas le lui interdire. » [69] L’alternative à cette politique est, bien évidement, une désunion et une rancœur susceptibles d’empoisonner et d’amputer la communauté musulmane de l’intérieur. [70]

Dans une culture mondiale influencée par l’Occident, où les gens sont poussés depuis le plus jeune âge à penser d’eux-mêmes et à remettre en question l’autorité établie, il peut parfois être dur de rassembler assez d’humilité pour reconnaître ses propres limites. [71] Nous sommes tous un peu comme Pharaon : nos ego résistent par nature à l’idée qu’autrui puisse être bien plus intelligent et savant que nous-mêmes. Croire que des Musulmans ordinaires, même s’ils connaissent la langue arabe, ont les qualifications requises pour dériver des règles légales pour eux-mêmes est un exemple de ce narcissisme sauvage. Cette situation peut devenir un piège pour des jeunes gens fiers de leurs propres opinions et étrangers à la complexité des sources et à l’éclat de la science authentique, qui peut finalement les détourner de la voie orthodoxe de l’Islam et provoquer un éventail involontaire de profondes divisions dans le monde musulman. On semble avoir oublié que tous les grands savants de la religion, experts du hadith inclus, suivaient eux-mêmes des madhhabs et exigeaient de leurs élèves la même chose. Dans ce domaine, l’estime de soi a remporté une victoire majeure sur le bon sens et le devoir islamique. [72]

Le Saint Coran ordonne aux Musulmans d’utiliser leurs têtes et leurs capacités de réflexion ; et cette aptitude devrait être tout particulièrement cultivée quant à la question de suivre ou non des savants attitrés. Et pour commencer, il faudrait reconnaître qu’il n’existe pas de différence catégorique entre usul al-fiqh et toute autre science spécialisée qui demande un apprentissage de longue haleine.

Le Cheikh Sa’id Ramadan al-Buti, qui dans son ouvrage : Le non-madhhabisme : la plus grande bid’a qui menace la shari’ah islamique, a formulé une réponse orthodoxe adéquate à la tendance anti-madhhab, aime à comparer la science de la dérivation des règles légales à celle de la médecine. « Si l’enfant de quelqu’un est sérieusement malade, demande-t-il, cherche-t-on soi-même dans les manuels médicaux les bons diagnostics et remèdes, ou bien doit-on se rendre chez un médecin expert ? » La raison dicte sans aucun doute la deuxième option. Il en va de même pour les questions religieuses, qui sont en fait plus importantes encore et peuvent s’avérer dangereuses : il faut être et idiot et irresponsable pour tenter de parcourir les sources de son propre chef et devenir son propre mufti. Au lieu de ça, il vaudrait mieux reconnaître que ceux qui ont passé leurs vies à étudier la Sunna et les principes légaux ont bien moins de chance de se tromper que [les gens du commun]. [73]

Penchons-nous sur une seconde métaphore, cette fois-ci empruntée à l’astronomie. Nous pourrions en effet comparer les versets coraniques et les hadiths aux étoiles. A l’œil nu, nous sommes incapables de voir précisément bon nombre d’entre elles. Il nous faut donc avoir recours à un télescope. L’idiot ou l’arrogant essayeront peut-être d’en construire un eux-mêmes. Cependant, le sage et le modeste seront heureux d’en utiliser un construit par les Imams Shafi’i ou Ibn Hanbal et élaborés, polis et améliorés par des générations et des générations de grands astronomes. Un madhhab n’est, après tout, rien de plus qu’un équipement de précision qui permet de discerner l’Islam avec une visibilité optimale. La vision de quiconque utilise son propre système sera inévitablement amoindrie par le caractère amateur de ses manipulations.

Voici enfin une troisième image. Une construction ancienne, comme par exemple la Mosquée Bleue d’Istanbul, peut sembler imparfaite aux yeux de certains fidèles qui y prient. On pourrait imaginer que des jeunes gens enthousiastes, rêvant d’embellir et de finioler l’édifice (conformément, sans aucun doute, à leurs propres penchants du moment), accèdent aux cryptes et aux sous-sols du bâtiment. Sur la base de leur propre compréhension des règles de l’architecture, ils essayeraient d’ajuster les fondations et les piliers qui supportent le grand édifice qui se trouve au-dessus, sans se donner la peine, bien entendu, de consulter des architectes professionnels, à part peut-être l’un où l’autre dont les arguments leur auraient plu. Les livres et les mémoires de ceux qui auraient assuré l’entretien du bâtiment pendant des siècles ne leur seraient d’aucune utilité : leur zèle et leur fierté ne leur laisseraient pas de temps pour cela. Au plus profond des sous-sols, ils sortiraient leurs pioches et leurs perceuses hésitantes et se mettraient à l’ouvrage avec leur enthousiasme habituel.

Le danger que l’Islam sunnite soit logé à la même enseigne est réel. L’édifice est resté stable pendant des siècles, résistant aux coups les plus durs de ses ennemis. Il ne peut être affaibli que de l’intérieur. Nul doute que l’Islam a des adversaires intelligents qui ne le savent que trop bien. Le spectacle des désunions et des fitnas qui ont divisé les premiers Musulmans malgré leur piété incomparable, mais aussi la solidité et la cohésion du Sunnisme à la suite de la codification finale de la shari’ah à travers les quatre écoles des grands Imams ont sans doute donné des idées à plus d’un esprit malveillant. Nous ne suggérons aucunement que ceux qui attaquent les grands madhhabs sont les outils conscients des ennemis de l’Islam. Mais cela peut fournir quelques explications au fait qu’ils continueront à être médiatisés et bien financés, tandis que l’alternative orthodoxe reste dénuée de tous moyens. Chaque Musulman étant désormais un ‘grand mujtahid’, et le taqlid étant rejeté comme un pêché au lieu d’être reconnu comme étant une vertu simple et nécessaire, les opinions divergentes qui ont tant sévi au début de notre histoire risquent de refaire surface. Au lieu de quatre madhhabs en harmonie, nous aurons un milliard de madhhabs en conflit acharné et pharisaïque. Nul plan plus ingénieux n’aurait pu être imaginé pour détruire l’Islam. [74]

Wa Allâhou A’lam.

© Sheykh Abdal Hakim Murad (Nouvelle édition avec notes)
Traduit par Muhammad. N

Notes :

[1] à [74] disponibles en cliquant ici : Notes

La biographie du Sheykh Abdal Hakim Murad est disponible ici : Biographie du Sheykh Abdal Hakim Murad