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Dans mon pays, les jours d’Arafat et de l’Aïd diffèrent de ceux de La Mecque. Qui suivre ?

 

Sheykh Abdul Wahab Saleem

 

 

 

 

Question :

Le jour de l’Aïd dans mon pays est différent de celui à La Mecque, dois-je jeûner le jour d’Arafah et célébrer l’Aïd en même temps que les pèlerins ou suivre ce qui a été décidé dans mon propre pays ?

 

Réponse :

Comme de nombreuses années, cette année encore, certains pays ont annoncé l’Aïd un jour différent du jour du sacrifice à la Mecque. Comme toujours, une question importante circule concernant le jeûne du jour d’Arafah. Dois-je jeûner le jour d’Arafat en fonction de l’observation des gens de la Mecque ou devrais-je jeûner sur la base de l’observation dans ma propre localité? La valeur du jour d’Arafah se limite-t-elle au jour où les gens sont réellement dans Arafah à La Mecque ?

Ces questions sont très importantes, car le mérite du jour d’Arafah lui-même est très important. Le Prophète ﷺ a dit comme cela est rapporté dans le Sahih de Muslim que la journée d’Arafah « Expie les péchés de l’année précédente et ceux de celle qui suit ». Quand faut-il jeûner ? Votre jour d’Arafah et votre Eid sont basés sur l’observation locale si votre comité décisionnaire ou votre gouvernement local se base sur l’observation locale. Même s’ils utilisent d’autres méthodes légalement légitimes (NDT : calcul) pour définir les dates, suivez-les. On peut se demander : « Comment cela est-il possible alors que Arafah, l’Aïd al-Adha, et le Hajj sont si étroitement reliés entre eux? Ne devrions-nous pas suivre les pèlerins ? »

La réponse à cela est qu’ils sont en effet connecté les uns aux autres, mais pour le pèlerin en particulier plus que pour toute la Ummah. Imaginez-vous à une époque ou dans une situation durant laquelle aucune information liée à la Mecque ne peut venir à nous, sauf après quelques jours grâce à des voyageurs. Imaginez une époque où il n’y a pas ou plus de communication instantanée. Pensez à une année au cours de laquelle le Hajj n’a tout simplement pas eu lieu en raison de problèmes politiques ou d’autres raisons (voir par exemple dans Shifāʾ al-Gharām Bi Akhbār al-Balad al-Ḥarām). Lors de tels scénarios, renoncerions-nous tout simplement au jeûne d’Arafat et à la célébration de l’Aïd al-Adha? Bien sûr que non.

Étant donné que les règles de la Shari’ah sont hors du temps et tiennent compte de toutes les situations, alors les méthodes prescrites pour définir nos célébrations et les jours vertueux de l’année le sont également. Et si les pèlerins eux-mêmes commettent une erreur ? Et si les pèlerins se désunissent et ne sont pas d’accord le jour même ? Que se passe-t-il si certains d’entre eux se tiennent à Arafah un jour, et d’autres à un autre ? Ce ne sont pas des scénarios hypothétiques. Tous ces scénarios ont effectivement eu lieu dans le passé ! Dans de telles situations, devrions-nous continuer à lier le jour d’Arafah sur la base de la décision des pèlerins ? Encore une fois, bien sûr que non.

En ce qui concerne la deuxième partie de la question, « Comment la valeur du jour d’Arafah peut-elle être différente d’un endroit à l’autre ? » Tout simplement parce que la grâce d’Allâh est sans limites. Si elle était limitée à la journée où les pèlerins se tiennent à Arafah, alors pendant des siècles avant nous, quand les gens n’avaient aucune communication instantanée, alors des millions de Musulmans du monde entier qui ont cherché la grâce d’Allâh par le jeûne le jour d’Arafah et sacrifié le jour de l’Aïd al-Adha en fonction de leurs propres observations ne serait pas certain de savoir s’ils ont gagné ou non la récompense du jeûne du jour de Arafah. De plus, ils n’auraient aucun moyen de définir ces jours (Arafah, Aidayn, etc.), car au moment où les informations en provenance des pèlerins les atteindraient, il serait déjà trop tard. En outre, la validité de leurs jeûnes même serait remise en question, car cela ouvrirait la possibilité qu’ils jeûnaient le jour de l’Aïd selon l’observation de La Mecque et le jeûne du jour de l’Aïd est interdit par le consensus des savants.

Par conséquent, jeûnez le jour d’Arafah et célébrez l’Aïd al-Adha en fonction de vos observations locales, ou, quel que soit le mécanisme légitime auquel recourent les autorités locales de votre pays pour définir les dates (ce qui peut inclure observation globale). Si vous n’avez pas d’organe décisionnaire officiel dans votre localité, agissez selon la décision de la majorité de vos conseils de savants locaux et de vos mosquées.

Aïd Mubarak à vous tous et à vos proches.

Wallâhu A’lam.

Sheykh Abdul Wahab Saleem

Réponse approuvée par Sheykh Faraz Rabbani

Les Guerres de Croyances dans la Divergence

 

Conversation avec Sheykh Saïd Fodeh

 

 

Saeed Fodeh

 

 

Introduction :

Ce mardi 5 Janvier 2016, Mohamed Ghilan a eu le privilège d’interviewer Sheykh Saïd Fodeh. Lors de cet entretien, il a pu recueillir son point de vue sur une série de questions liées à la théologie Islamique. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Sheykh Saïd Fodeh est sans doute le plus éminent théologien Musulman de l’école Ash’arite vivant aujourd’hui. Il a rédigé une longue liste de plus de plus de 80 ouvrages dans la discipline du Kalam. Il vit à Amman, en Jordanie.

Dans cet article, nous avons décidé de vous présenter la partie de l’interview qui concerne les divisions au sein de la communauté musulmane en Amérique, et plus généralement en Occident où deux camps théologiques se clashent. On a d’une part des Salafistes, sous la bannière de l’imam Ibn Taymiyya رحمه الله qui affrontent le camp des traditionalistes sous la bannière de l’Imam Al-Ghazali رحمه الله.

 

Mohamed Ghilan :

Nous vivons une situation en Occident où la communauté Musulmane tend à se diviser en différents camps. Aujourd’hui, les deux principaux groupes sont d’une part ceux qui se considèrent comme les Salafistes et d’autre part ceux qui se considèrent comme les Sunnites traditionnels (les Ash’arites et les Maturidites). Au sein de chaque camp, il y a malheureusement des membres qui sont assez vifs dans leur manière de dénoncer la partie adverse, et certains vont assez loin dans leurs attaques. Parmi les questions soulevées, la plupart sont de nature historique et ne revêtent pas une grande pertinence pratique pour les Musulmans vivant aujourd’hui. En fait, ce qui rend cette situation encore bien plus problématique, c’est la hausse actuelle de l’islamophobie, illustrée entre autres par des phénomènes tels que la montée de Donald Trump et de ses partisans. Que pensez-vous de tout cela?

 

Sheykh Saïd Fodeh :

Je vais répondre de la manière la plus brève et directe possible. Les divergences entre les Musulmans ne cesseront jamais, indépendamment du fait qu’ils vivent en Amérique, en Europe, ici en Jordanie, ou ailleurs dans le monde. Ce fut le cas historiquement, dès le tout début, puis ça a continué jusqu’à aujourd’hui, et sera ainsi jusqu’à ce qu’au Jour du Jugement. Cependant, après avoir dit cela, il est impératif que les Musulmans respectent ceux avec qui ils divergent. Si dans le Qour’an il nous est ordonné de respecter ceux qui ne partagent pas notre foi en l’Islam, alors que dire de la façon dont nous devons traiter nos coreligionnaires lorsque nous divergeons – « Et discute avec eux de la meilleure façon » [Qour’an, 16/125]

Notre problème en tant que Musulmans, c’est que beaucoup d’entre nous vont au-delà des limites acceptables lorsque nous débattons avec autrui, et nombreux sont ceux qui se mettent à accuser l’autre de détruire la religion. En réalité, la plupart de ceux qui s’engagent dans ces débats et ces conflits sont ignorants et n’ont qu’une intelligence très limitée. En fait, je tiens pour responsables les savants et les gens de science qui n’ont pas été capables de donner l’exemple concernant la manière correcte avec laquelle il faut débattre et argumenter. Quand je parle de « manière », je ne parle pas du fait d’être gentil et cordial. Dans ce domaine, nous sommes en réalité vraiment doués pour faire semblant. La « manière » dont les savants parlent dans leurs textes ne concerne pas le fait d’être agréable. Ce qui est mentionné par les savants de la théologie concernant les étiquettes du désaccord (adab al-ikhtilaf) signifie plutôt : écouter et comprendre la position de la partie adverse, de la manière dont ils la perçoivent, non pas selon mes projections. Cela exige de l’écoute, de la clarification et de la confirmation avant d’apporter une réponse. Je ne crois pas que notre problème soit dans les divergences ou les débats. Notre vrai problème réside dans notre manque d’étiquettes concernant la façon de gérer le désaccord (NDT : c’est-à-dire adopter un comportement fraternel, humble, compréhensif, respectueux et discuter avec l’intention de faire sortir la vérité et non de l’imposer).

Il y a une différence entre être celui qui écoute et être celui qui parle. Jetez un œil aux débats publics qui ont eu lieu entre les théologiens et les athées. Voyez-vous la foule entière se disputer l’une contre l’autre? Ou bien voyez-vous les savants débattre et la foule écouter? Notre problème, c’est que nous ne parvenons pas à reconnaître qui est habilité à parler et qui devrait être à l’écoute. Nous semblons avoir du mal à discerner qui a le droit de débattre. Nous avons beaucoup de prétendants; s’accrochant eux-mêmes sur l’échelle des savants pour obtenir des tribunes sur lesquelles ils n’ont rien à faire. Celui qui désire s’exprimer doit au préalable passer beaucoup de temps assis tranquillement à apprendre avant d’obtenir le droit de parler. Dès que vous voyez des gens lancer des insultes et des accusations contre ceux avec qui ils divergent, sachez que vous êtes en présence de gens stupides et ignorants.

Les gens qui recherchent sincèrement la science et de la vérité discutent tranquillement de ces questions. Même si à la fin ils se quittent avec des désaccords, ils le font de manière à se trouver plus proches l’un de l’autre qu’ils ne l’étaient avant qu’ils ne commencent.

Enfin, nous devons nous rappeler que nous appelons les gens à l’Islam d’une manière générale. Je suis moi-même Ash’ari, et je soutiens l’école Ash’ari et je crois que cette école représente la voie la plus authentique de l’Islam Sunnite. Cependant, je n’appelle pas les gens à l’école Ash’ari. J’appelle les gens à l’Islam. Qu’est-ce que je représente, c’est une école, une façon de comprendre l’Islam. Mais je ne prétends pas que ce soit la seule voie et que ma compréhension et mes convictions représentent la conclusion finale sur cette question. L’islam est plus grand et plus englobant que moi, que ceux qui sont venus avant moi, que ceux qui viendront après moi, ou que cette école spécifique particulière.

Le piège dans lequel tombent de nombreux Ash’aris, et j’ai à ce sujet beaucoup de désaccords avec de nombreux Ash’aris, c’est qu’ils font de l’Islam le titre de l’école Ash’ari. En vérité, il s’agit du même piège dans lequel tous les autres groupes tombent également. Nous pouvons affirmer que l’école Ash’ari représente la manière la plus authentique de comprendre l’Islam (NDT : En ce qui concerne la Croyance). En fait, d’autres « écoles » et parmi elles les Salafistes avec Ibn Taymiyya, ou même les Zaydites, les Ibadites, et les Mu’tazilites ont également le droit de faire cette affirmation. Ceci n’est pas un appel à faire preuve d’une fausse humilité à ce sujet ou à affirmer l’équivalence. Nous pouvons affirmer que les Ash’aris sont les plus proches et qu’ils possèdent la compréhension la plus correcte concernant la théologie Islamique (‘Aqida) et en retour offrir nos raisons pour le démontrer. De la même façon, d’autres groupes peuvent clamer être les plus corrects selon leurs propres estimations et offrir (en retour) leurs raisonnements. Les savants peuvent alors tous s’asseoir, discuter et débattre avec respect et en conformité avec les étiquettes (adaab) appropriées comme je les ai mentionnées plus haut.

En fin de compte, il restera toujours des divergences et des désaccords. Ce que nous devons faire, c’est se traiter mutuellement avec respect et avec les bonnes manières et faire preuve de tolérance face à ces divergences. C’est ainsi que nous pouvons tous rester unis. Ce qui nuit le plus aux Musulmans, ça n’est pas les divergences, mais c’est plutôt le fait qu’ils gèrent mal la manière de gérer ces désaccords.