Lettre à l’Occident : nous avons juste à apprendre à vivre ensemble

Sheykh Habib ‘Ali al-Jifri

AliJifri

 

Ceci est une lettre destinée à l’Occident, en particulier à ses penseurs, à ses universitaires et à ses faiseurs d’opinions. La publication d’une nouvelle série de caricatures du Prophète Muhammad (salallâhou ‘alayhi wassalaam) dans la foulée des attentats de Paris est regrettable. Pour beaucoup de gens, cela a démontré une similitude entre le processus de pensée de ceux qui ont perpétré ces attaques et des éditeurs. Tous deux semblaient souscrire à l’idée d’un choc des civilisations.

Les caricatures n’étaient pas un acte de liberté d’expression absolu. Toute société impose des limites à la liberté d’expression. En général, tout ce qui incite à la haine est interdit par la loi. Par exemple, la loi française de 1972 (loi Pleven) interdit tout ce qui provoque la haine et la discrimination raciale. Son gouvernement actuel travaille d’ailleurs sur une loi visant à criminaliser la négation du génocide arménien de 1915. Même Charlie Hebdo avait ses limites. En 2008, le journal a renvoyé le caricaturiste Maurice Sinet (dit Siné) pour une chronique (jugée) antisémite.

Il y a des restrictions ailleurs en Europe aussi. La glorification du nazisme est interdite au Danemark. En 2005, l’historien britannique David Irving a été condamné pour négation de l’Holocauste par un tribunal autrichien et condamné à trois ans pour les discours qu’il a tenus en 1989. En 2003, le quotidien danois Jyllands-Posten a refusé d’imprimer les caricatures de Jésus-Christ parce que cela aurait « provoqué un tollé ».

Il est donc clair que certaines considérations morales et éthiques imposent des limites à la liberté d’expression en Occident. Par conséquent, pourquoi ne pas reconsidérer les provocations faites à l’encontre d’une communauté minoritaire déjà malmenée en Europe?

Les caricatures valorisent le récit utilisé par les extrémistes. Il y a dans la communauté musulmane des sections influençables qui peuvent être attirées vers l’extrémisme simplement après avoir prêté l’oreille à la manière dont les extrémistes traitent la question. Les terroristes exploiteront toujours la liberté d’expression afin de conduire nos sociétés vers un véritable choc des civilisations. Cela ne mérite-t-il pas d’être pris en considération?

Les lois contre l’antisémitisme sont présentées comme essentielles afin de prévenir que l’histoire récente en Europe ne se répète. Jadis, le discours de haine de l’Holocauste fut utilisé pour dresser les gens contre la communauté Juive. De toute évidence, les arguments permettant de rendre l’antisémitisme hors-la-loi sont essentiellement d’ordre moral.

De même, légiférer contre toute agression envers les symboles des communautés religieuses minoritaires, dans ce cas précis, les Musulmans, pourrait aider à prévenir une répétition des massacres commis en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. La séquence des événements qui ont conduit à ces tragédies a commencé avec les attaques de mosquées et avec l’augmentation des actes d’agressions envers les Musulmans.

En 2013, Olivier Cyran, un ancien employé de Charlie Hebdo, a écrit une lettre dans laquelle il a décrit comment au fil des ans le magazine à basculé vers le racisme et comment une « névrose islamophobe s’est progressivement installée (au sein de la rédaction) » après les événements du 11 septembre.

C’est un moment critique pour l’humanité. Deux choix sont possibles maintenant. Soit celui qui consiste à suivre un chemin qui mène vers le triomphe de valeurs comme la coexistence et l’acceptation respectueuse des différentes visions du monde. Soit celui de prendre la route qui permet aux extrémistes de nous conduire vers une guerre dans laquelle il ne peut y avoir de gagnant. Initions ensemble une révolution intellectuelle contre la politisation de la pensée religieuse et libérale et contre son utilisation pour allumer les flammes du conflit. Personne ne tire profit d’un conflit ,à l’exception de l’industrie de l’armement et de la droite extrême et religieuse.

J’aimerais que vous compreniez notre point de vue. Le prophète Muhammad est plus cher aux Musulmans que la vie de leurs enfants, celle de leurs parents ou que leur propre vie.

Bien que nous respectons et reconnaissons que l’Occident moderne ait été construit sur une vision particulière du monde et possède ses propres systèmes définis et son propre paradigme, nous avons nous aussi une vision du monde et un paradigme éthique, moral et spirituel qui la façonne. La question que nous devons vraiment nous poser est la suivante : sommes-nous prêts à accepter véritablement et respectueusement la diversité dans les visions du monde et tout ce que cela implique en termes de coexistence respectueuse?

Sheykh al-Habib ‘Ali Al-Jifri est un érudit religieux, fondateur de la Fondation Tabah, un institut de recherche situé à Abu Dhabi.
Article initilament publié en anglais sur Thenational.ae et traduit par Sunnisme.com