La magie de Ramadan

La magie de Ramadan

Ramadan nous a quittés depuis quelques semaines et nous nous rapprochons de Dhoul-Hijja et de la fin de l’année à grands pas. Encore des moments de réflexion en perspective. Cependant, restons encore un peu dans la magie de ramadan pour nous plonger dans l’univers de certains peuples durant ce mois béni. Pour celui ou celle qui a l’opportunité de se détacher de ses obligations, il n’y a pas de meilleur cadeau que de vivre ce mois avec le Qur’an, le dhikr, les prières et la bonne compagnie dans un cadre spirituel. Trop souvent dans le monde musulman, l’univers du travail et des études suit le calendrier grégorien, et ramadan n’est plus le noble invité pour qui on délaissait tout. Néanmoins, il est toujours possible de s’arranger, de prendre des vacances à ce moment-là, de vivre des moments merveilleux et surtout de retrouver des perles de ramadan tout au long de l’année.

À Istanbul, ramadan est somptueux ! Les grandes mosquées sont pleines de récitateurs et le bourdonnement de cette récitation est constamment présent où que l’on se trouve. Le gouvernement distribue des iftar gratuits pour tous à des endroits précis, en général historiques et connus, plusieurs fois par semaine. J’ai eu la chance de goûter à ce repas sur la pelouse de la mosquée de Fatih et c’était délicieux ! Les Turcs, pour beaucoup, rompent leur jeûne en plein air sur une des grandes pelouses de la ville. Les nappes sont déployées, la nourriture posée, les mains tendues vers le ciel en attendant l’adhan magnifique d’une de ces grandes mosquées hors du commun. Parfois, une dame passe et distribue une de ses sadaqate faites maison, ou le groupe ou le couple à côté partage de leur iftar avec les autres. Les lieux de repos des saints et des grands personnages de l’Empire Ottoman sont constamment visités et encore plus durant ramadan. Les Turcs sont très attachés à leur héritage, ils ne le laissent pas flétrir, leur présence garde ces endroits en vie.

Le petit bémol est sûrement le tarawouih qui est extrêmement rapide et contrariant. Dans le cas où l’on chercherait plus de recueillement dans sa prière, il est bien mieux de prier à la maison, à son rythme et entre femmes pour celles qui connaissent des Kurdes, car les Kurdes suivent le madhhab chaféite pour une grande partie (dans cette école, l’imama des femmes est permis). Cependant, les grandes mosquées comme celle d’Abou Ayyoub al-Ansari رضي الله عنه ont un très beau tarawouih à vitesse modérée et tellement agréable. Il est important de venir de bonne heure, car la mosquée se remplit très vite du côté des femmes.

Les demandes de charité sont partout, pour les mosquées, les étudiants, les centres de Qur’an… J’ai été surprise de voir que les collecteurs vous donnent même un reçu lorsque vous mettez l’argent dans la boîte. Durant le mois du ramadan, le mouadhdhin appelle le fajr à la véritable heure, pour que les gens terminent leur sahour avant l’adhan, cependant ce n’est pas le cas le reste de l’année, car le madhhab qui prédomine dans le pays est celui de l’imam Abou Hanifa et dans cette école il est préférable de prier le fajr vers la fin. Pour ceux qui veulent prier le tahadjoud, veuillez regarder dans les mosquées le tableau d’heure des prières et cherchez imsak, c’est l’heure du fajr. De même pour l’ichraq, il y en a deux. Le premier, c’est l’adhan et le deuxième le vrai. C’est le cas pour Istanbul, et non pour toutes les villes de Turquie. Dans le sud, à Ourfa, par exemple, la prière du fajr est appelée à l’heure toute l’année, peut-être parce que la majorité n’est pas turque ou bien par préférence des habitants.

Une heure ou deux avant l’adhan, il y a une tradition ottomane qui se fait toujours dans certains quartiers, qui est d’appeler les gens au sahour en battant sur un tambour ! Traditionnellement, la personne marchait et tapait dessus, mais de nos jours les hommes sont souvent sur une mobylette, l’un conduisant et l’autre tenant un grand tambour. Il est aussi possible de voir des représentations de ce genre de performance plus authentiques dans l’un des marchés de ramadan proches des quartiers historiques d’Eminönü, Sultan Ahmad (le cœur de l’originale Constantinople)… Des hommes en habits ottomans font une parade avec des tambours, comme le faisaient leurs ancêtres il y a moins d’un siècle.

La cape du Prophète est accessible seulement durant le mois du ramadan, dans la grande mosquée appelée al-Kharqa al-Sharifa, à Fatih, qui ressemble à un musée européen. Nous prenons part à une longue file à l’extérieur. Les salawate qui passent en boucle à l’intérieur se font entendre. L’adrénaline va croissante. Certes, il y a toujours des sceptiques et des gens qui voient une mascarade dans tout. Il est vrai que l’on ne base pas la vérité sur des émotions. Cependant l’amour ne s’explique pas. La cape est très ancienne, protégée dans un espace en verre ; il y a tellement de monde qu’il faut marcher rapidement et nous n’avons pas le temps de regarder le cheveu dans sa boîte dorée ! Tout ce qui se dit être au Bien-Aimé on le veut être à lui. On l’imagine la porter, la toucher, parler en la portant… On le visualise en regardant cette cape qui on espère être presque un bout de lui, pour nous les malheureux, qui ne l’avons jamais rencontré. Les Turcs sortent en faisant face à la cape, par respect, comme je les ai vus faire dans les maqamate. Nous refaisons un tour comme une centaine d’autres personnes… Chacun a sa propre connexion à ces reliques. Celui qui veut y croire y croit, celui qui ne veut pas n’y croit pas. Nous n’étions pas assis avec notre Prophète pour pouvoir vérifier. Mais l’important, c’est de voir l’engouement des musulmans pour ce trésor spirituel, l’émotion, l’excitation et les dou’a dans cette longue queue qui n’en finit pas et enfin les larmes et la nostalgie générale lorsque l’on arrive à destination. Les musulmans aiment leur Prophète d’un amour unique et c’est ce qui ressort de façon authentique de cette expérience.

À Tarim, ramadan est époustouflant. Il faut le vivre pour le croire. C’est un monde à part entière. Il n’y a rien qui compte à part Dieu. La dounya s’est envolée. Il n’y a que prières, Qur’an, dou’a, dhikr et bonnes actions. C’est vraiment là que j’ai compris l’importance d’avoir un programme spécial pour ramadan et de laisser ses obligations le plus possible de côté, car il n’y a pas de meilleure opportunité pour se rapprocher d’Allah et de soi-même. Une ouverture, une trêve joyeuse et pleine d’espoir. C’est un délice de ce monde auquel nous ne pourrons peut-être pas prendre part l’année suivante.

Prier dans masjid al-Aqsa durant ramadan est une expérience extraordinaire. Des milliers de Palestiniens, des quatre coins de la Palestine, ont l’autorisation de se rendre à la mosquée et la foule est incroyable. Il n’y a bien sûr pas de place à l’intérieur et nous prions à l’extérieur (qui est aussi considéré comme masjid al-Aqsa). C’est tellement agréable de prier sur ces dalles si anciennes qui ont tellement vu et vécu ! Un retour dans le temps. Le vent agite les arbres, la récitation émeut le cœur. On devine presque les dou’a de notre voisine… car ce sont aussi les nôtres.

En Jordanie, c’est le tarawouih qui est magnifique ; les a’ima ont souvent une belle voix et les prières sont à vitesse modérée, ni très longues et ni courtes.

À Abou Dhabi, aux Émirats, malgré les interdictions des réunions et des rassemblements religieux qui sont mises en place depuis quelques années, il est toujours possible de trouver des awliya et de vivre un ramadan sublime. Merci mon Dieu, qu’il y ait toujours des perles, des âmes sincères et dévouées, quel que soit l’environnement.

Ramadan est parti. Ce n’est pas un mois saint, mais Dhoul-Qa’da l’est. Les bonnes et les mauvaises actions sont multipliées de nouveau et cela va durer pendant trois mois. Ravivons nos âmes et recréons la magie de ramadan dans ces mois sacrés où que nous soyons dans ce monde.

Maryam Szkudlarek