Le musulman ne s’attache pas au monde

Extrait du livre
Les Règles du Bon Comportement par Abderrazak Mahri


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Selon Sahl Ibn Sa’d, l’Envoyé de Dieu (salallahou ‘alayhi wassalaam) a dit :

« Gabriel est venu me voir et m’a dit: « Ô Muhammad! Vis autant que tu veux, tu mourras ; aimes qui tu veux, tu le quitteras; fais ce que tu veux, tu es comptable de tes actions ; et sache que la noblesse du croyant procède de ses veillées en prière, et sa grandeur de ce qu’il se passe des gens » [1].

L’homme sensé est celui qui n’est pas dupe de la vérité de ce monde. Il le considère comme un champ où il sème de bonnes œuvres dans l’espoir que sa récolte soit bonne dans la vie dernière. Dieu a dit : « Cette vie ici-bas n’est que jouissance temporaire alors que la vie ultime est la demeure de la fixation éternelle. » (Coran 40, 39). Ibn ‘Umar a dit : « Le Messager de Dieu me prit par l’épaule et me dit : « Sois dans ce monde comme un étranger ou un voyageur qui passe! » [2].

Qui s’attache au monde si ce n’est l’homme de peu de foi et de discernement? A quoi bon le porter dans le cœur quand on sait de science certaine qu’il passe et que l’on passe nous aussi, aussi longue que puisse être la vie. L’homme doit évacuer de son cœur la considération de la valeur de ce monde. Il convient toutefois de rappeler que le désintérêt pour le monde ne signifie pas démission et isolement comme le pensent certains soufis qui n’ont pas véritablement intériorisé les vérités de l’Islam. En Islam, les œuvres pies se divisent en deux parties : la première comprend les actes proprement cultuels : la prière, la zakat, le jeûne, le pèlerinage, etc. S’en acquitter n’exige pas de l’homme beaucoup de temps ni beaucoup d’effort. La seconde, plus importante de par son volume, se consacre à l’initiation aux affaires du monde, à leur maîtrise et à leur mise au service du monothéisme, établissant ses enseignements et le défendant. La plus grande partie du temps, les hommes cherchent à comprendre la vie et le monde dans lequel ils vivent pour être en mesure de préserver la Religion et la certitude en le monde futur et non pour être esclaves de ce monde [3].

Le Prophète était dans le monde sans y être, il faisait tout ce qu’un homme doit faire, c’est-à-dire tout ce qui participe des principes du vicariat sur terre et qui assure le bon ordre de la vie de ce monde. L’Islam n’est pas renoncement au monde au sens où l’entend la masse, il est investissement du monde, création de civilisation, le musulman parfait étant celui qui réussit le mariage entre le spirituel et le matériel, le monde immédiat et le monde futur.

Le renoncement, comme le dit AI-Junayd, c’est considérer ce bas monde comme peu de chose et en effacer toute trace dans le cœur. Sufyân Ath- Thawrî a dit: « Le renoncement au monde consiste dans la limitation des espoirs et non à manger de la nourriture grossière et à porter la bure » [4]. Abû Sulaymân Ad-Dârânî a dit : « Quand ce bas monde s’installe dans le cœur, le souci de l’autre vie part ailleurs ». Le Prophète Jésus -sur lui la Paix- a dit : « L’amour de ce monde est à l’origine de tout péché » [5], Yûnus Ibn Maysara a dit : « L’ascétisme ne consiste pas à interdire ce qui est licite ou à dilapider un bien; c’est la confiance en ce qui est auprès de Dieu plus que dans ce qui est entre tes mains ; c’est que tu sois le même tant dans l’adversité que dans la prospérité et que ton attitude soit la même envers qui te loue ou te critique justement ».

L’imam Ahmad Ibn Hanbal a dit: « Il existe trois catégories de renoncement : le renoncement de la masse des gens, qui est de délaisser l’illicite; le renoncement de l’élite, qui est de s’éloigner du licite superflu ; et le renoncement des gnostiques qui est de se détourner de tout ce qui distrait de Dieu ».

Dans ce monde périssable, même les bien-aimés finissent par se séparer. La mort sape les plaisirs éphémères, met fin à l’amour, à l’affection, mais pas définitivement. L’amour véritable et sincère continue dans la vie future où se renouvellent les liens d’amour entre les croyants. Les amoureux, les amis se retrouvent dans le Paradis.

Au moment où l’on quitte le monde, on abandonne tout derrière nous, seul nous accompagne dans la tombe notre œuvre bonne ou mauvaise. On est comptable de tous nos actes sur terre. Le sage est qui intériorise cette vérité et agit en conséquence, Où que l’on soit dans ce monde, en public ou en privé, nos actions sont comptabilisées et consignées dans un Livre qui sera déployé le Jour de la Résurrection.

La prière de la nuit, obligatoire au début de l’Islam, est devenue ensuite surérogatoire, C’est dire son importance dans la réforme, la revivification et le raffermissement de l’âme. Le Prophète priait tellement la nuit que la peau de ses pieds se fendilla. Parlant de ‘Abdullâh Ibn ‘Umar, l’Envoyé de Dieu dit : « Quel excellent homme que ‘Abdullâh si au moins il priait une partie de la nuit! » [6].

Une précision s’impose cependant ici; les actes surérogatoires, fussent-ils la prière de la nuit, ne doivent pas conduire à l’abandon de l’effort dans le monde; peu de Coran lu la nuit et beaucoup d’efforts déployés le jour, c’est cela la religion. Si les premiers musulmans, qui avaient émigré à Médine, n’avaient pas assuré leur autonomie économique et avaient été moins forts que les juifs, ils auraient été malmenés par ceux-ci et auraient été dans l’incapacité d’assurer leur suprématie sur terre. L’Islam est une religion où se marient action, vitalité, labeur et puissance [7].

 

Notes :

[1] AI-Hâkim et Abû Nu’aym.
[2] Al-Bukhârî.
[3] Muhammad AI-Ghazâlî, Khutab Ach-cheikh Muhammad Al-Ghazâlî fi chu ‘ûn ad-din wa-l-hayât, p.550.
[4] Abû Nu’aym.
[5] Kitâb Az-Zuhd, Ibn Hanbal.
[6] Al-Bukhârî et Muslim.
[7] Muhammad AI-Ghazâlî, Ibid. p. 551.