Qu’est-ce que le Soufisme [Tasawwuf]

Par Mawlana Ashraf ‘Ali Thanwi [1]

 

 

soufidhikr


« En vérité, celui qui a purifié son cœur a réussi tandis que celui qui l’a détérioré a perdu »

 

Beaucoup de gens ont mal compris ce qu’est le Tasawwuf. Beaucoup pensent que c’est quelque chose à part du Qour’an et de la Sunnah. Les Soufis dévoyés, ainsi que les Savants (Ulama) superficiels, même s’ils sont chacun à une extrémité opposée du spectre, sont tous deux responsables du maintient de cette notion erronée. C’est ainsi que le premier groupe s’est éloigné du Qour’an et des Hadiths tandis que le deuxième groupe s’est éloigné du Tasawwuf. En fait, bien que le terme Tasawwuf, à l’instar de nombreux autres termes religieux utilisés aujourd’hui, se soit développé plus tard, la discipline fait partie intégrante de la Shari’ah. Le domaine de la Shari’ah relatif aux actes extérieurs comme la Prière (Salat) et l’Aumône (Zakat) est appelé Fiqh, de même que celui qui traite des sentiments intérieurs et des états du cœur est appelé Tasawwuf. Les deux sont prescrits dans le Qour’an. Ainsi, alors qu’il prescrit la Salat et la Zakat, le Qour’an prescrit aussi la gratitude et l’amour d’Allâh et condamne le mal causé par l’orgueil et la vanité.
De même que dans les livres de Hadith il y a les chapitres relatifs à l’adoration (Ibadat), aux transactions, au commerce, au mariage et au divorce, se trouvent les chapitres sur ar-Riya ‘(l’ostentation), at-Takabbur (l’orgueil), al-Akhlaq (les vertus), etc. Ces prescriptions sont tout autant une exigence obligatoire que celles ayant trait aux actes [ndt : devoirs religieux] extérieurs.Après réflexion, on se rend compte que tous les actes extérieurs sont destinés à réformer le cœur. C’est la base de la réussite vers l’au-delà alors que sa détérioration est la cause d’une totale destruction. C’est précisément ce qui est techniquement connu comme étant le Tasawwuf. Ceci [ndt : le Tasawwuf], met l’accent sur la Réforme des Caractères (Tahzeebe Akhlaq) ; son objectif est d’atteindre la Satisfaction Divine ; sa méthode consiste en l’obéissance totale aux prescriptions de la Shari’ah.Le Tasawwuf est l’âme de l’Islam. Sa fonction est de purifier le cœur des bas attributs bestiaux comme la luxure, les calamités de la langue, la colère, la méchanceté, la jalousie, l’amour du monde, l’amour de la gloire, l’avarice, la cupidité, l’ostentation, la vanité, la tromperie, etc. En même temps, il vise à l’embellissement du cœur avec les nobles attributs comme la repentance, la persévérance, la gratitude, la crainte d’Allâh, l’espoir, l’abstinence, le Tawhid, la confiance, l’amour, la sincérité, la vérité, la contemplation, etc.Le diagnostique et le traitement des maladies du cœur requiert normalement l’aide d’un professeur expert (ou Sheykh). Voici les qualités d’un véritable Sheykh :
  1. Il possède une nécessaire connaissance de la religion.
  2. Ses croyances, ses mœurs et ses pratiques sont conformes à la Shari’ah.
  3. Il n’entretient pas d’avidité pour les mondanités.
  4. Il a lui-même passé beaucoup de temps à apprendre auprès d’un véritable Sheykh.
  5. Les savants et les authentiques Mashaikh de son temps ont une bonne opinion de lui.
  6. Les gens qui l’admirent sont pour la plupart des personnes qui ont une bonne compréhension de la religion.
  7. La plupart de ses disciples suivent la Shari’ah et ne courent pas après ce monde.
  8. Il essaie sincèrement d’éduquer et de former moralement ses élèves. S’il voit quelque chose de mal en eux, il la corrige.
  9. En sa compagnie, on peut sentir une diminution de l’amour de ce monde et une augmentation de l’amour pour Allâh.
  10. Il pratique lui-même régulièrement le Dhikr et les exercices spirituels.
Lors de la quête d’un Sheykh, ne cherchez pas de sa capacité à exécuter des prodiges (Karamat). Un très bon Sheykh peut ne pas être en mesure d’accomplir un prodige. D’autre part, il n’est pas nécessaire d’être une personne pieuse pour accomplir des prodiges – ni même d’être musulman. L’éminent Soufi Bay’a zid Bistami a dit : « Ne vous y trompez pas si vous voyez quelqu’un accomplir des exploits surnaturels comme voler dans l’air. Jugez-le selon les normes de la Shari’ah ».
Lorsque vous trouvez le bon Sheikh et que vous êtes satisfait de sa capacité à fournir des conseils spirituels, effectuez la Bay’a [2]. Il s’agit d’un engagement réciproque, le Sheykh s’engage à vous guider à la lumière de la Shari’ah et vous vous engagez à le suivre. Ensuite le Sheykh donnera à son étudiant (Murid) les instructions initiales, parmi lesquelles :
  1. Repentez-vous pour tous les péchés du passé et prenez des mesures pour faire amende honorable, au cas où par exemple au court de votre vie, des prières (Salat) ont été manquées, auquel cas il faut commencer à compenser [ndt : rattraper].
  2. Si vous avez envers une personne des obligations financière en souffrance ; élaborez des plans pour vous en acquitter.
  3. Préservez vos yeux, vos oreilles et votre langue.
  4. Effectuez régulièrement du Dhikr.
  5. Démarrez quotidiennement une session d’auto-comptabilité avant d’aller au lit. Examinez toutes les bonnes et mauvaises actions réalisées pendant la journée. Repentez-vous pour les mauvaises et remerciez Allâh pour les bonnes.
  6. Effectuer Muraqaba-Maut (la méditation sur la mort) tous les soirs avant d’aller au lit. Imaginez que vous êtes morts. Réfléchissez sur les affres de la mort, l’interrogatoire dans la tombe, la plaine de la Résurrection, le Jugement, la présence dans la Cour d’Allâh, etc. Cela aide à apporter de la douceur dans le cœur et à briser la tendance à commettre des péchés.
  7. Développer de l’humilité. Même si vous observez un individu commettre le pire des vices, vous ne devriez pas le/la mépriser, vous ne devriez pas vous considérer comme plus noble. Il est fort possible que l’auteur du vice se repente sincèrement tandis que celui qui méprise le pécheur se laisse appâter dans les pièges du  Nafs et de Shaytan. On n’a aucune certitude quant à sa fin. On n’a donc aucune base pour considérer l’autre avec mépris.
L’idée essentielle du Tahzeebe Akhlaq est d’amener nos facultés naturelles à un état d’équilibre. Les trois facultés de base sont la colère, le désir et l’intelligence.
La Colère : en équilibre elle se traduit par la bravoure, la tolérance, la ténacité, la capacité à contenir la colère, et la dignité. L’excès (de colère) donnera lieu à l’imprudence, la vantardise, l’orgueil, l’incapacité à contenir la colère, et la vanité. Une carence se traduira par la lâcheté, la disgrâce et des sentiments d’infériorité.
Les Désirs : l’équilibre se traduit ici par la chasteté, la générosité, Haya (la décence),  la patience et le contentement. Son excès mène à la cupidité et à la luxure. L’autre extrême se traduit par l’étroitesse d’esprit, l’impotence, etc.
L’Intelligence : en équilibre elle rend l’homme sage, vif d’esprit, et fort perspicace. Son excès peut induire une personne en erreur, l’inciter à la fraude et l’imposture. Le manque d’intelligence se traduit par l’ignorance et la stupidité, avec comme conséquence qu’une telle personne se trompe facilement.
Une personne sera considérée comme ayant un caractère agréable à partir du moment ou ces facultés seront en état d’équilibre. La beauté intérieure varie selon les gens, tout comme la beauté extérieure. La personne qui possède la plus belle Conduite (Seerah) était le Prophète Muhammad (salallâhou ‘alayhi wassalaam). La beauté de notre Seerah dépend de la proximité d’avec la sienne.
Notes du traducteur :
[1] Article réalisé à partir d’écrits de Maulana Ashraf ‘Ali Thanwi. Né en Inde en 1863, il a étudié au Dar ul-‘Uloom de Déoband. Il était un spécialiste du hadith (mouhadith), du fiqh, maîtrisait la récitation du Qour’an qu’il avait mémorisé très jeune. Maulana at-Thanwi maitrisait aussi l’arabe, le persan et le urdu. Il a consacré sa vie à l’enseignement, la prédication, les conférences et l’écriture, on compte d’ailleurs plus de 800 ouvrages à son actif. Il fut un guide spirituel (Tasawwuf) humble, exemplaire et d’une grande sagesse. Le Sheykh est décédé en 1943 – qu’Allâh lui fasse Miséricorde et le récompense généreusement.
[2] Al-Bay’a signifie prêter serment d’allégeance (synonyme d’engagement).