Amir al-Mouminin Abdul Qadir al-Jazairi


Par Maryam Szkudlarek

Un froid matin de novembre nous sommes en route vers ce que fût autrefois l’une des résidences de l’imam ‘Abdul Qadir al-Jazairi, qu’Allah lui fasse miséricorde. Sur le chemin, nous admirons des maisons troglodytes. La France est magnifique. Nous arrivons, nous garons, traversons des ruelles et empruntons un chemin en pente pour arriver au château. Il s’agit du château d’Amboise, un lieu riche en Histoire. On y trouve également la tombe d’un des génies de la Renaissance : Léonard de Vinci. Malgré le brouillard, la vue sur la ville est impressionnante. La Loire est juste en face, derrière les maisons traditionnelles de la région. L’horloge de l’église indique onze heures vingt. C’est certainement ce que voyait l’imam lorsqu’il venait contempler la ville. Il sortait dans son long izaar [1] blanc et son haut à manches longues recouvert d’une cape blanche qui couvrait aussi sa tête. Il avait une allure et un charisme grandioses et les habitants ne pouvaient s’empêcher de l’admirer. Depuis la hauteur, il semblait être une apparition, un ange peut-être.


Amir al-Mouminin ‘Abdul Qadir al-Jazairi fut emprisonné avec une partie de sa famille et sa suite dans ce grand château froid en 1848, un novembre aussi. En parcourant les pièces du château, je m’imagine la vie du chaykh et de sa famille entre les pierres gelées. De nos jours il y a le chauffage, mais ce n’était pas le cas à l’époque. Il n’y avait certainement pas de lits douillets ni de couvertures chaudes non plus. L’humidité se fait toujours sentir, qu’en était-il à l’époque ? Ces conditions très précaires ont coûté la vie à certains membres de sa famille dont une ou deux de ses épouses et quelques enfants. Dans une des salles, son portrait est exposé. Une photo le montre passant une porte dans ses habits blancs habituels. C’est l’apparition divine que les gens voyaient.


Le Jardin est aussi sublime. On y trouve plusieurs sortes d’arbres et de plantes, c’est tellement agréable. Sa famille s’y repose. Sur les dalles, un cercle sur un socle indique le nom des défunts en calligraphie arabe. Je remarque le nom Fatima.
Était-ce son épouse ? Ou peut-être sa fille ? ‘Abdul Qadir, était-ce son fils ? Nous récitons la Fatiha [2]. Quel voyage dans le temps ! L’imam aura séjourné une courte période de sa vie à Amboise, néanmoins c’était certainement l’une des épreuves les plus douloureuses de sa vie après sa défaite contre les Français. La boutique est remplie d’objets sur l’imam, ennemi d’hier, héro d’aujourd’hui…

 


Vingt ans après avoir été libéré, il rencontrera à la Mecque un homme que, tout comme lui, l’Histoire de l’islam n’oubliera pas : l’imam Chamil, qu’Allah lui fasse miséricorde. Ces deux personnages fascinants ont tous deux échoué au combat face à leurs ennemies respectifs, cependant ils ont laissé un héritage précieux et puissant. Leur image et les symboles qu’ils représentent sont ceux de la foi et du courage, de l’optimisme et du miracle. Les cœurs ne les ont pas oubliés. « Assurément, ce monde est maudit comme l’est tout ce qu’il contient,
à l’exception du souvenir de Dieu et de ce qui s’y rapporte, du savant et de celui qui étudie » [3]. C’est exactement l’enseignement que l’on peut tirer de ces parcours extraordinaires. Leurs chemins ont été une sadaqa jariya [4] pour les générations futures, par le biais du rappel à Allah, la connaissance sacrée et la spiritualité. Ils n’ont pas pu sauver leurs terres de l’envahisseur, néanmoins ils ont peut-être ouvert la porte aux générations suivantes à une connexion plus sincère à Allah. La gratitude se goûte réellement après avoir recouvré quelque chose de perdu. Le vrai cadeau est d’avoir des exemples de foi et de courage, transmettant l’islam au travers d’évènements familiers ou propres à la culture des gens. Leur apprentissage des sciences de l’islam et leurs bonnes actions n’ont jamais cessé, même bien après leurs immenses déceptions. Ils ont tenu bon jusqu’à ce qu’Allah les rappelle. C’est en fait-là que le tawfiq se trouve ; à travers l’image qu’on laisse à l’humanité quelle que soit la réponse qu’Allah donne à nos requêtes. La dounia [5] est courte et éphémère, elle change et rechange, ce qui était important hier ne l’est plus aujourd’hui et vice versa, comme les livres, les marque-pages et les tasses avec l’image de l’imam ‘Abdul Qadir al-Jazairi que l’on trouve à Amboise ou les vignettes, sacs et vêtements avec l’image de l’imam Chamil. Qui aurait pu imaginer pareil scénario cent cinquante ans auparavant lors de leur jihad [6] ? Néanmoins le souvenir de foi et de courage que l’on a pu observer ou entendre ne change pas, il traverse époques, cultures et traditions. Il donne l’énergie et la confiance dont les successeurs ont besoin pour agir en leur temps et époque.
Maryam Szkudlarek


Notes :


[1] C’est un habit pour les hommes qui couvre du dessus du nombril jusqu’à après les genoux.
[2] « Celle qui ouvre », c’est le chapitre qui est récité sur les défunts, ainsi que lorsque l’on fait des invocations pour qu’Allah donne une ouverture.
[3] Rapporté par Tirmidhi.
[4] Une charité continue.
[5] Le monde d’ici-bas.
[6] Combat légiféré par les lois islamiques.
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