La question Où est Allâh fait-elle partie de la ‘Aqida

 

 

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BismiLlâhi ar-Rahmani ar-Rahim [1],

La question « Où est Allâh » fait-elle partie de la ‘Aqida (Croyance Musulmane) ?

Il est important que cette question soit étudiée et abordée car il y existe aujourd’hui une confusion et une mauvaise compréhension et certains prétendent à tort que cette question concerne la Foi ou le Credo. Nous verrons dans cet article qu’il en est autrement.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais évoquer quelques points, en introduction.

Il y a consensus parmi les savants sur le fait qu’en matière de Croyance, seuls les récits dits « Mutawatir » peuvent être pris en compte. De quoi parle-t-on quand on emploie de terme Mutawatir ? Il s’agit en fait de Hadiths rapportés dans la période bénie du Salaf (par les Sahabas, les Tabi’ins et les Tab at-Tabi’ins), sans interruption et par un nombre de transmetteurs tellement large qu’il est impossible qu’ils aient pu faire une erreur ou mentir. Tous les savants sont d’accord sur le fait qu’en matière de Croyance, seuls les récits dits « Mutawatir » peuvent être pris en compte.

Il existe une légère divergence concernant les récits dits « Wahid ». De quoi parle-t-on quand on emploie de terme Wahid ? Il s’agit en fait de Hadiths rapportés dans la période bénie du Salaf (par les Sahabas, les Tabi’ins et les Tab at-Tabi’ins) sans interruption, mais rapportés par seulement un ou deux narrateurs. Ainsi, leur nombre ne suffit pas à atteindre le statut de Mutawatir. Il existe une légère divergence entre les savants quant à savoir si on peut prendre en compte les récits dits « Wahid » concernant les questions de Croyance.

Dans son commentaire du Sahih de Boukhari (al-Fath al-Bari) [2], l’Imam ibn Hajar al-‘Asqalani (rahimahouLlâh) mentionne qu’à chaque fois que l’Imam al-Boukhari (rahimahouLlâh) aborde, dans son Kitab at-Tawhid [3], la ‘Aqida (concernant les Attributs d’Allâh ou toute autre chose), il mentionne également un verset du Coran. En agissant ainsi, l’Imam al-Boukhari indique que son madhhab (école), c’est qu’en terme de ‘Aqida, il faut des récits dits « Mutawatir », car le Coran est Mutawatir.

J’aimerai maintenant que nous analysions un Hadith dans lequel il est rapporté que le Prophète Muhammad (salallahou ‘alayhi wassalam) demanda à une esclave/servante « Ou est Allâh », ce à quoi il est dit qu’elle répondit : « Dans le ciel (fi as-sama) », après quoi le Prophète répondit : « Libérez la, car c’est une croyante ».

Ce Hadith a été rapporté dans différentes versions et les savants en ont donné plusieurs interprétations. Dans le Muwatta du grand Imam du Hadith, l’Émir des Croyants dans le Hadith, l’Imam Malik ibn Anas (radhia Allâhou ‘anhou), il mentionne [4] que quand le Prophète questionna la servante sur « Ou est Allâh », elle répondit : « Dans le ciel (fi as-sama) », après quoi il demanda : « Qui suis-je ? » et elle dit : « Tu es le Messager d’Allâh » ; et il dit : « Libérez la, car c’est une croyante » [5]

L’Imam Malik mentionne ensuite le Hadith dans une version différente. Dans cette version, le Prophète ne pose pas à l’esclave la question « Où est Allâh », il lui demande : « Témoignes-tu qu’il n’y a pas d’autre divinité qu’Allâh ? » et elle répondit que oui. Il lui demanda : « Témoignes-tu que je suis le messager d’Allah ? » et elle acquiesça une nouvelle fois. Il dit alors « Libérez-la ! » [6]

C’est donc une des variantes, rapportées ici par l’Imam Malik.

De la même manière, dans « Nayl al-Awtaar », l’Imam ash-Shawakani (rahimahuLlâh) [7] rapporte également différentes versions de ce Hadith dit « de la servante ». Dans une des narrations, rapportée par l’Imam Ahmab ibn Hanbal (radhia Allâhu ‘anhu) et l’Imam an-Nasa’ï (rahimahuLlâh), il est dit que le Prophète demanda : « Qui est ton Seigneur ? » à quoi elle répondit : « Allah », puis il reprit : « Et qui suis-je ? » ce à quoi elle répondit : « Tu es le Messager d’Allah », après quoi il déclara : « Libérez là, car c’est une croyante ». [8]

Toujours dans « Nayl al-Awtaar » [9], l’Imam ash-Shawakani (rahimahuLlâh) rapporte que le Prophète demanda à la servante « Ou est Allâh », suite à quoi elle pointa son doigt vers le ciel. A aucun moment elle ne dit « Dans le ciel (fi as-sama) », elle se contenta de pointer son doigt vers le ciel.

On observe donc que ce Hadith a été rapporté dans de nombreuses variantes. Dans certaines, le Prophète Muhammad demande « Ou est Allâh », dans d’autres il demande « Témoignes-tu qu’il n’y a pas d’autre divinité qu’Allâh »… il y a donc plusieurs versions.

La version la plus authentique, celle dans laquelle il n’y a pas de changement de mots, celle qui doit donc être privilégiée, est celle qui est rapportée par l’Imam Muslim (rahimahuLlâh) dans son Sahih. Rappelons-nous néanmoins que ce hadith fait aussi partie des récits dits « Wahid » et non des récits dits « Mutawatir ».

Si on regarde dans le Sahih de Muslim [10], l’Imam mentionne cette narration dans laquelle le Prophète interrogea l’esclave.

Il est important de comprendre qu’aucun savant parmi les Muhaddithun n’a commenté ce hadith en disant qu’il se rapporte à la Croyance (‘Aqida) ou à la Foi (Imane). Strictement aucun !

Le grand savant du Hadith, l’Imam an-Nawawi (rahimahuLlâh), qui est l’auteur d’un des meilleurs commentaires du Sahih de Muslim, a écrit que :

«  Le but était de tester la jeune esclave : était-elle une monothéiste qui affirme que le Créateur, Celui qui Dispose, Celui qui Fait, est Allah seul et que c’est Lui qui est invoqué quand une personne adresse sa demande (du’a) en se tournant vers le ciel  – de la même façon que celui fait la prière (salat) se dirige vers la Kaaba, car le ciel est la qibla des suppliants comme la Kaaba est la qibla des prieurs – ou était-elle une adoratrice des idoles qu’ils plaçaient devant eux ? Ainsi, lorsqu’elle a dit « dans le ciel », il était clair qu’elle n’était pas une adoratrice des idoles. » [11]

Quant au grand savant Malikite, al-Qadi ‘Iyad (rahimahuLlâh), une autorité pour les Muhaddithun, il rapporte l’Ijma (le consensus) suivant :

«  Il n’existe pas désaccord parmi les musulmans, du premier jusqu’au dernier – leurs savants de la jurisprudence, leurs savants du hadith, leurs savants en théologie, à la fois ceux capables d’un effort de déduction scientifique et ceux qui suivent la doctrine d’un autre – que les preuves scripturaires qui mentionnent qu’Allah serait « dans le ciel », comme Ses mots : « Êtes-vous à l’abri que Celui qui est au ciel vous enfouisse en la terre » et d’autres, ne sont pas tels que leur sens littéral (dhahir) semble signifier, mais plutôt, tous les savants les interprètent autrement que dans leur sens apparent. » [12]

Dans un de ses ouvrages, l’Imam ‘Ali Qari (rahimahuLlâh) cite aussi l’imam al-Qadi ‘Iyad déclarant que lorsque le Prophète questionna la servante par « Où est Allâh », son intention n’était pas de définir un endroit pour Allâh, car Allâh n’est pas concerné par l’endroit, Il est le Créateur des endroits, Il n’a nul besoin de l’endroit, de la même manière qu’Allâh n’est pas concerné par le temps qui est aussi une de Ses créatures. Le Prophète Muhammad voulait savoir si cette femme était une croyante ou une associatrice (mécréante) car les mécréants avaient pour habitude d’adorer des idoles fabriquées et de les voir en face d’eux. Cette question permettait donc de savoir si oui ou non elle était croyante [13].

L’Imam Qourtoubi (rahimahuLlâh) et l’Imam Baydawi (rahimahuLlâh) ont également mentionné la même chose en commentaire de ce Hadith.

Dans le commentaire du Sahih de Muslim [14] de l’Imam Muhammad ibn Khalifa (rahimahuLlâh), on trouve exactement la même explication que celles données par les autres grands Imams.

Le Hadith dont nous discutons peut aussi être trouvé dans Abu Dawud (rahimahuLlâh) dans une version similaire à celui se trouvant dans le Sahih de Muslim. Lorsque l’on regarde dans le très bon commentaire (sharh) des Sunnans d’Abou Dawud [15], écrit par Muhammad al-Khatabi (rahimahuLlâh), on peut y lire l’explication qu’il donne concernant ce Hadith. Il dit que cette question posée par le Prophète Muhammad ne concernait pas l’Imane ou la ‘Aqida, mais plutôt qu’il cherchait un signe lui permettant de savoir si cette femme était ou non croyante. L’Imam al-Khatabi apporte ensuite des preuves. Il dit : « Si un non croyant vient vers nous et qu’il souhaite accepter l’Islam et qu’il dit simplement « Allâh est dans le ciel », il ne deviendra pas Musulman. Il ne deviendra pas Musulman car cette déclaration ne fait pas partie de la Foi Musulmane. S’il souhaite devenir Musulman il devra dire le Kalima, il devra prononcer la Shahada [16] et c’est uniquement à ce moment-là qu’il deviendra Musulman. » Ceci est un dalil (preuve) très fort prouvant que cette question ne concerne pas la ‘Aqida.

De même, lorsque le Prophète Muhammad fut questionné par sidna Jibril (‘alayhi salaam) à propos de la Foi (Imane), jamais il n’évoqua cette question. Il dit : « Al-Imane, c’est que tu aies foi en Allah, en Ses Anges, en Ses Livres, en Ses Messagers et en le Jour Dernier. Que tu aies foi aussi en la destinée, que cela concerne le bien ou le mal. »


Il apparaît donc clairement que :

1/ la question « Ou est Allâh » n’a strictement rien à voir avec la ‘Aqida (Croyance), ni avec la Foi (Imane) ou avec le Credo.

2/ le hadith de la servante a été étudié et interprété par de très grands et très nombreux Muhaddithun (an-Nawawi, al-Qourtoubi, al-Qadi ‘Iyad, Mula ‘Ali Qari, al-Baydawi, al-Khattabi, Badr Ad-Deen Al-Ayni…).

3/ ce hadith est « Wahid » et il est très difficile de prendre ce type de narrations concernant la ‘Aqida, comme stipulé par l’Imam al-Boukhari.

4/ au regard des interprétations qui ont été faites de ce Hadith, il est impossible d’arriver à la conclusion qu’il concerne la ‘Aqida et d’ailleurs aucun de ces Muhaddithun n’a dit qu’il concernait la ‘Aqida.

Certains frères utilisent un livre de l’Imam Ad-Dhahabi (rahimahuLlâh) [18] pour argumenter leur point de vue, mais même là, quand on regarde dans son livre, on voit qu’après avoir cité les différentes versions du Hadith, l’imam conclu en disant que : « la seule chose qu’on peut conclure à partir de ces narrations, c’est que poser la question « Ou est Allâh »  est permis (jai’z ou moubah) ».

Qu’est-ce qu’une chose permise ? Si vous l’accomplissez, vous ne récoltez aucune récompense et si vous ne la faites pas, vous ne récoltez aucun péché.

Pour donner un exemple : manger une pomme après salat ad-Dhur est permis.

Maintenant, imaginez qu’une personne vienne et affirme que manger une pomme après salat ad-Dhur est obligatoire (fard), que cela fait partie de la ‘Aqida, que cette personne fait le tour des gens pour leur dire qu’ils doivent manger une pomme après salat ad-Dhur, parce que c’est obligatoire. Il  insiste, puis ils leur posent la question : « pourquoi ne manges-tu pas une pomme après la salat » ? Il sera facile de conclure que cette personne est une fiteen (qui sème le désordre/la discorde).

Il est établi dans le Sahih de Muslim que le Prophète a posé cette question, mais il est également établi que cette question n’a vraiment rien à voir avec la Croyance mais qu’elle est juste une chose permise, rien de plus. De même, la réponse fournie par la servante dans une des versions ne constitue en rien un élément constitutif de la ‘Aqida.


Alors, pourquoi en faire une question si importante ? Ceci est une bida’a !

Certains objecterons : « Es-tu en train de dire que le Prophète Muhammad a fait une bida’a ? » Non, non et encore non ! Le Prophète Muhammad a posé cette question, mais il ne l’a pas fait avec une intention de ‘Aqida ou d’Imane.

Qu’est-ce que l’innovation (bida’a) ? Ce n’est pas juste le fait d’apporter quelque chose de nouveau dans la Religion. Les savants ont clairement stipulé que le fait d’élargir ou d’affaiblir quelque chose qui est déjà établi est aussi une bida’a. Ainsi, rabaisser le statut de quelque chose de Fard (obligatoire) vers un statut de Sunnah est une bida’a. De même, donner le statut d’obligatoire à quelque chose qui est Sunnah est aussi une bida’a.

Alors que dire de faire passer quelque chose du statut de « permis », qui est son statut maximum selon l’imam ad-Dhahabi, au statut d’élément fondamental de la ‘Aqida ? Ceci constitue une innovation blâmable.


Enfin, pour conclure, je voudrai poser la question suivante :

Si vraiment cette question « Où est Allâh » et sa réponse « Dans le ciel (fi as-sama) » faisait vraiment partie de la ‘Aqida, alors pourquoi l’Imam Muslim aurait-il placé ce Hadith dans le chapitre de la Salat (Kitab as-Salat) ? Pourquoi n’en a-t-il pas fait mention dans le chapitre de la Foi (Kitab al-Iman)? Quand on analyse ce chapitre de la Salat, on trouve que tous les Hadiths qui se situent avant et après celui dont il est question parlent effectivement de la Salat. Pourquoi l’Imam Muslim ne l’a-t-il pas placé dans le 1er chapitre, celui qui concerne la Foi ? Par ce choix délibéré, l’Imam Muslim confirme et informe lui-même le lecteur que ce Hadith et cette question n’ont aucun rapport avec la ‘Aqida ou la Foi, sinon il est évident qu’il aurait placé le Hadith dans ce chapitre.

Tous ces éléments sont suffisants pour que le croyant sincère comprenne que :

1/ cette question n’a rien à voir avec la Croyance,

2/ la réponse fournie par la servante dans l’une des versions (dans le ciel), n’est en rien un argument pouvant servir à localiser Allâh dans un endroit ou dans une direction (qu’Allâh nous préserve d’une telle croyance).

 

Al-HamduliLlâh !

Qu’Allâh nous donne la bonne compréhension de Sa Religion.


Notes :

[1] Article basé sur un travail de Sheykh Muhammad Yasir al-Hanafi
[2] Al-Fath al-Bari, volume 13, pg. 410
[3] Le livre de l’Unicité (concernant la Croyance)
[4] Malik ibn Anas, Muwatta, pg. 540
[5] Le même Hadith peut être trouvé dans le Sahih de Muslim, 5 vol. Le Caire, 1376/1956. Édition. Beyrouth : Dar al-Fikr, 1403/1983, 1.382: 538
[6] Ce Hadith peut également être trouvé dans Al-Musannaf, 11 vol. Beyrouth : al-Majlis al-Ilmi, 1390/1970, 9.175: 16814
[7] Imam ash-Shawakani, Nayl al-Awtaar, vol. 5 & 6
[8] Ce Hadith peut également être trouvé dans Al-Ihsan fi taqrib Sahih Ibn Hibban, 18 vols. Beyrouth : Muassasa al-Risala, 1408/1988, 1.419: 189 (avec une chaîne de transmission bien authentifiée (hasan).
[9] Imam ash-Shawakani, Nayl al-Awtaar, vol. 7 & 8
[10] Sahih de Muslim, pg. 372 et pg. 204
[11] Sahih de Muslim bi Sharh an-Nawawi. 18 vols. Le Caire 1349/1930. Édition (18 vols. en 9). Beyrouth : Dar al-Fikr, 1401/1981, 5.24
[12] Sahih de Muslim bi Sharh al-Nawawi, 5.24
[13] Dans Mirqat al-Mafatih Sharh Mishkat al-Masabih 11 vol par ‘Ali al-Qari
[14] Muhammad ibn Khalifa al-Washtani al-Ubbi, Ikmal Ikmal al-mu’allim, pg. 338, vol 2
[15] Ma’alim as-Sunan Sharh Kitab Sunan Abu Dawud, par Abu Suleyman Hamd ibn Muhammad al-Khatabi al-Busti
[16] C-à-d- : Ash-hadu An-Laa Ilaha Illa-Allaah wa Ash-hadu Anna Muhammadan Rasool-Allaah
[17] Kitab Sharh Musnad Abu Dawud par l’Al-Imam Badr Ad-Deen Al-Ayni Al-Hanafi
[18] Imam Dhahabi – Kitaab al-Arsh