Entretien avec
Sheykh Hamza Yusuf [1]

 

Hamza_Yusuf

 

 

 

As-salamou ‘alaykoum.

Wa ‘alaykumu Salaam.

Jazak-Allah khair d’avoir pris sur votre emploi du temps chargé pour nous accorder un peu de votre temps. Vous revenez du Pèlerinage (Hajj) récemment ; vous y êtes déjà allé, n’est-ce pas ?

Juste.

Était-ce différent cette fois-ci, par rapport aux autres fois – ou bien est-ce de toute façon différent à chaque fois?

Je pense que le Hajj tend à refléter l’état de la Ummah. C’est l’une des caractéristiques du Hajj, c’est que vous pouvez observer la Ummah. C’est un microcosme de l’état de la Ummah. Et je pense que ce que vous voyez au Hajj, c’est que la Ummah n’est pas en bon état. Ce que vous voyez c’est qu’il y a du bon dans la Ummah, mais l’état, l’état général, n’est pas un bon état et je pense que ceci se voit particulièrement lors du Hajj. Une des évidences, c’est qu’il y a, en un sens, une perte de ce qu’on appelle « l’Ithar », qui est la notion de « respect envers les autres ». Une des caractéristiques essentielles des Musulmans est cette idée de déférence et de adaab [2] et si vous ne faites pas preuve d’adaab dans le Haram [3], il est certain que vous n’en faites pas preuve à l’endroit d’où vous venez. Et ce qui se passe, c’est que vous avez des gens qui oublient de manière générale où ils se trouvent. Parmi les manifestations extérieures de ceci, vous trouvez beaucoup de gens qui fument, publiquement, dans le Haram, beaucoup de mixité entre les hommes et les femmes, et ce, d’une manière qui ne convient pas.

Il y a également une absence totale de préoccupation pour la propreté de l’endroit – Les ordures sont partout. Je veux dire, les ordures sont déjà un problème, c’est un problème moderne. Les humains ont toujours produit des déchets, mais les déchets des biens de consommation sont très différents des déchets classiques qui étaient en grande partie dégradables – des choses qui retournaient à la terre. Et là, vous avez affaire à un grand nombre de matières plastiques et des choses qui ne sont pas … qui sont déplaisantes. Et il y a juste beaucoup de déchets, et ce qui à mon avis est significatif, c’est le fait que les Musulmans jettent des choses partout, tout en émettant l’hypothèse que d’autres les ramasseront. Et en réalité, ce que cela nous dit, c’est que personne ne prend de responsabilité personnelle, et je pense que c’est de manière générale une véritable crise dans la Ummah Musulmane, dans son ensemble. Les individus Musulmans ne prennent pas de responsabilité personnelle concernant l’état de la Ummah, ils s’attendent à ce que quelqu’un d’autre s’occupe des problèmes, et cela a conduit à une sorte d’apathie, et je pense que tout cela se reflète dans le comportement. Lorsque l’on jette les pierres, c’est … Je veux dire, les gens avec qui j’y suis allé, nous avons tous jeté nos pierres sans nuire à qui que ce soit, sans bousculade, et nous sommes entrés et sortis. Mais nous l’avons fait parce que nous le faisions en toute conscience, alors qu’il y a beaucoup de gens là-bas, qui ne se soucient pas des autres personnes, ils poussent les gens à obtenir leur … ils entrent et font ce qu’ils ont à faire, et ils nuisent aux personnes autour d’eux. Vous pouvez voir cela aussi autour de la Pierre noire, et lors du Tawwaf, et le problème est que, lorsque vous honorez les autres Musulmans, Allâh vous honore, et en rabaissant les autres Musulmans, vous vous rabaissez vous-même en réalité. Allâh dit : « Ô hommes, vos injustices ne retomberont que sur vous-mêmes ! ». Et en nuisant à d’autres personnes, ce que nous faisons en réalité, c’est nuire à nous-mêmes, et je pense que c’est ce qui se passe dans la communauté Musulmane, et c’est pourquoi nous avons ce type d’oppression envers l’autre dans la Ummah Musulmane, ce manifestant par de la corruption au sein des organismes gouvernementaux et de la corruption dans le secteur privé.

Donc, êtes-vous en train de dire que du précédent Hajj à celui-ci les choses ont empiré ? Avez-vous avez perçu une détérioration ou une amélioration? 

Non, je ne crois pas – je ne pense pas que … Je ne veux pas être pessimiste … mais il faut être réaliste aussi. Pour moi, personnellement, malgré tout cela, il y a des choses extraordinaires qui se passent, et il est encore … Je veux dire la véritable tâche de chaque pèlerin est, en dépit de toutes ces situations accablantes, de découvrir le Hajj comme un voyage spirituel. Je veux dire, c’est une tâche. Quelque chose qui probablement plus tôt, jadis, était plus facile. Maintenant, il y a une lutte.

Pourquoi pensez-vous que les Musulmans ont perdu leur tradition d’amour mutuel et de courtoisie les uns envers les autres, pourquoi pensez-vous qu’il y a eu ce déclin ?

Parce qu’il y a une rupture dans le concept même de ce qu’est une Ummah. Je veux dire que c’est l’idée de « Diviser pour mieux régner ». Il a fallu un certain temps pour que cela se réalise, mais il y a eu une rupture avec les nationalités. Il y a maintenant des nationalités créées artificiellement et des frontières qui nous divisent, et ces nationalités et frontières ont une vie propre, et donc ce qui se passe, c’est que les gens commencent à se voir eux-mêmes comme des Égyptiens, comme des Algériens, etc. et pas en tant que Musulmans, et pas comme une Ummah, alors que Allâh dit « Vous êtes une Ummah et je suis votre Seigneur. » Vous avez un Seigneur, une Ummah et un Prophète. Nous avons dans notre Ummah tous les ingrédients qu’aucune autre communauté ne possède. Ils n’ont ni l’homogénéité, ni les ingrédients de l’unité à l’extérieur de leur pays. En d’autres termes, les Japonais ont un type de solidarité fondé sur leur « japonité », mais en dehors de cela, en dehors d’une lignée, en tant que peuple lié par la langue, ils n’ont pas quelque chose qui les unisse. Alors que nous, Musulmans, nous avons au sein de notre tradition tous les ingrédients pour unir les gens les plus divers et c’est extraordinaire, il n’y a rien d’autre de semblable dans l’histoire ou dans le monde actuel.

Ce que l’Amérique voudrait faire, c’est qu’ils voudraient unir le monde sur la base de « valeurs » (parce que je n’aime pas ce mot) partagées, que sont le « consumérisme », la « consommation irrationnelle », le « plaisir ». Pour eux, le monde est créé essentiellement pour le jeu et le divertissement et c’est un passe-temps qu’il faut remplir de musique, de danse et de comportements bestiaux les plus bas et c’est ce qu’ils répandent partout dans le monde. En conséquence, tous les gens auront le même aspect, dans leurs jeans et leurs chaussures Nike, et ils écouteront tous la même musique pop sucrée, et tout le monde mangera le même hamburger, des frites et des milkshakes et tout le monde aura les mêmes points de vue communs sur le monde. Ce type d’unité consiste à réduire l’être humain à un automate, dépourvu de volonté propre, traversant simplement la vie comme un somnambule, sans aucun sens de l’identité, de conscience ou de tradition. C’est l’unité qu’ils espèrent réaliser avec cette idée d’une sorte de « Monde Unique ». Peut-être avec une certaine dose de spiritualité « New Age » jetée là-dedans parce que les gens ont tendance à avoir des besoins spirituels … Alors, prenez un peu de cette religion-ci et de cette religion-là, et nous pouvons tous devenir des bouddhistes, et se contenter de méditer, ou quelque chose comme ça. Ou bien ils vont, j’en suis sûr, rapidement nous proposer un concept de « Télévision spirituelle. »

Avez-vous lu le livre de James Redfield, « La Prophétie des Andes », c’est vraiment en rapport avec ce que vous évoquez.

En fait, j’ai lu ce livre. Je pense que c’est exactement ce dont je parle. C’est ce genre de religion New Age qui est promu – qui est dajjalique [4] dans sa nature, car ça parle de la recherche de vérités spirituelles tout en la déformant. Iblis est l’imitateur, ok, je veux dire Allâh dit que Son Trône est sur l’eau, donc Iblis fabrique son trône sur l’eau. Iblis est le grand imitateur, il est le moqueur. Et donc la pseudo-religion essayera toujours d’imiter la vraie religion, et malheureusement, quand les gens n’ont la capacité de discerner et de distinguer entre la vérité et le mensonge, alors ils passent leur vie à être induits en erreur et à errer dans l’obscurité.

Pensez-vous que le déclin intellectuel dans notre Ummah peut d’une certaine manière être lié au déclin de la langue Arabe et à son importance?

C’est un élément très important dans l’ensemble du déclin général. Parmi les centaines de langues dans le monde, il y en a seulement une poignée de dites civilisationnelles et l’Arabe est certainement l’une d’entre elles.

À l’heure actuelle, la langue du pouvoir et de la domination et des discours de tous niveaux – qu’ils soient commerciaux, philosophiques ou scientifiques – est l’anglais. Et l’élite au pouvoir en Occident est certainement capable de s’exprimer en anglais. Alors que dans le monde arabe, vous auriez du mal à trouver des gens capables de s’exprimer verbalement – en utilisant la langue Arabe comme un moyen de discussion et de réflexion sérieux – à moins qu’ils aient été bien formés. Un plus grand nombre est réellement capable d’écrire et en partie parce que la langue Arabe est profondément enracinée dans la Savoir Islamique Classique.

L’Anglais possède une vision du monde, et maintenant, vous trouvez dans le monde arabe, des gens qui ont l’anglais comme deuxième langue – généralement leur enseignement supérieur se fera désormais en anglais. Chaque langue contient en elle les racines de la vision du monde des gens qui l’ont produite – donc en choisissant la langue anglaise, on adopte une vision du monde occidental, et c’est inévitable. En abandonnant la langue Arabe, ce que les gens font en réalité c’est abandonner la vision du monde que le Qour’an fourni. En outre, les Musulmans avaient un sens profond de la puissance linguistique et de l’expression sous-jacente réelle de la réalité inhérente à la langue. La langue du Qour’an est le langage de la vérité, et par conséquent celui qui l’apprend et s’en imprègne profondément finira par être confronté à la réalité à travers l’expression de la langue Arabe.

Pourquoi pensez-vous que tant de pièces de la bonne littérature Islamique aient été écrites par des non-Musulmans – comme le livre « La montée de l’Humanisme dans l’Islam Classique et le Monde Chrétien? » de George Makdisi ?

En partie parce que l’Occident est l’élite du pouvoir dominant, et les puissances dominantes ont toujours appareil intellectuel leur permettant de maintenir leur pouvoir – une partie de l’appareil, consiste à permettre et à faciliter la recherche et à donner la possibilité aux intellectuels de développer des idées et des pensées, au final, pour le bénéfice de l’élite au pouvoir. Bien souvent, ce qui va en découler, c’est que les gens qui sont brillants auront le temps et la liberté nécessaires pour réfléchir profondément sur différents types de questions. C’est l’ensemble du système de dotation de l’Occident – si vous regardez chez la plupart de ces gens, vous trouverez (dans leurs écrits) un paragraphe de gratitude dédié à certaines fondations qui leur ont donné les moyens de consacrer 2 ou 3 ans à faire la recherche qu’ils avaient a effectuer. Ce qui s’est passé dans le monde Musulman est dû au fait qu’il n’y a pas de pouvoir (en fait, le monde Musulman est devenu d’une importance secondaire) la plupart des gouvernements Musulmans ne sont nullement intéressés à produire des intellectuels, en fait, c’est même le contraire. Ils veulent les empêcher de penser, ils ne veulent pas qu’ils pensent. Le fait que l’Occident encourage et facilite le travail de ces intellectuels n’est (cependant) nullement un indicateur d’un désir de vérité.

C’est une remarque très importante.

En effet. Parfois, la vérité est un sous-produit, parce que pour arriver à accomplir ce qu’ils veulent accomplir, ils permettent un contrôle expressif de leurs intellectuels – mais à cause de la nature même du mécanisme, cela ne servira en fin de compte que l’élite au pouvoir.

Quelqu’un a fait la remarque suivante : « S’assoir devant un enseignant qui vous transmets son savoir, c’est comme prendre une photo. Dans la mesure où par la lumière, l’image de ce qui est en face de vous est implantée dans votre cœur. C’est cela l’éducation. » Pouvez-vous s.v.p. commenter – pourquoi ne pouvons-nous pas recevoir une éducation à partir de la lecture des livres? [5]

C’est en partie l’idée de la transmission. Quiconque a étudié avec un professeur sera en mesure de répondre à cette question et toute personne qui n’a pas étudié avec un professeur ne le pourra pas. C’est la différence entre entendre parler de quelque chose et en faire l’expérience. Notre tradition est une tradition de transmission. C’est un Ange qui a enseigné à notre Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam] et lui-même (Djibril) a reçu son savoir de Rabb ul-Izza – Le Seigneur de la Puissance (Allâh). Et le Qour’an dit : « Et au-dessus de tout homme détenant la science il y a un savant [plus docte que lui]. ». Lorsqu’on a demandé à Moïse (psl) s’il existait quelqu’un de plus savant que lui sur terre, il a répondu « Non ». Mais par la suite, Allâh l’envoya étudier avec Al-Khidr, dont la majorité des savants disent qu’il n’était même pas un prophète. Voici donc un prophète envoyé vers celui qui ne l’est pas et ceci fut un rappel pour Moïse (‘alayhi salaam), à savoir que l’on ne peut jamais supposer qu’il n’existe pas quelqu’un de qui on peut apprendre.

Une partie de la crise moderne dans la Ummah Islamique est due au fait que nous avons des savants autodidactes – les dommages qu’ils ont causés sont, je pense, énormes, et l’un des signes de la fin des temps est un Hadith dans lequel le Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam] a déclaré que la Science serait prise d’un « Saghir » ; ce qui signifie « un petit ». [6] Ibn Abd ul-Barr, le grand commentateur andalou du Hadith a écrit que la signification de ce Hadith est que la chaîne serait brisée vers la fin des temps – les gens qui n’avaient pas pris leur Science de la précédente génération commenceront à transmettre leurs connaissances, et cette science ne sera que leur propre opinion et non une Science transmise (reçue). Et du point de vue Musulman, la vérité n’est pas quelque chose qui doit être découvert – c’est quelque chose qui doit être appris. Dans la compréhension Occidentale, la vérité est quelque chose qui doit être découvert, la vérité n’a pas été donnée à l’homme – c’est quelque chose que l’homme doit découvrir par lui-même. Au 20e siècle, le métarécit [7] est en train de disparaître, c’est-à-dire, le phénomène postmoderne est en quelque sorte une capitulation au profit de l’idée qu’il n’existe aucune vérité – et que s’il y a une vérité, ce n’est pas avec un « V », mais avec un « v » – ce qui signifie, « votre vérité peut ne pas être ma vérité ».

Aujourd’hui nous n’avons pas un véritable élan soutenu dans la recherche de la vérité, mais plutôt des petites recherches, chacune pouvant prétendre à la vérité, et le résultat c’est que finalement plus rien n’est vrai. Parce que quand vous déclarez que tout est vrai, en vérité ce que vous êtes en train de dire, c’est que rien n’est vrai. Si je dis que c’est mal de tuer et que quelqu’un dit : « cette affirmation n’a aucun sens parce que, qu’est-ce qui est « mauvais »? – Quelle est votre définition du mal? Et parce que le mal ne peut être techniquement défini dans le discours dominant du 20e siècle, il n’a donc aucun sens. Considérons, par exemple, que je dise: « ceci est mal », et que « mal » soit « ce que Allâh a rendu illicite », la salle entière va se moquer de moi, parce que ce que je dis, c’est que « la vérité a été révélée par Dieu » – ce n’est plus un principe accepté par le discours social moderne. Donc, nous ne pouvons pas parler de morale – la seule chose dont nous pouvons parler, c’est la législation, la législation c’est la dernière mode, avec des questions comme : « faut-il ou non la peine de mort? » … cela devient un débat, et il n’y a rien de plus figé que ce type de débat. Autre exemple, « Tu ne tueras point » – devient « devrions-nous tuer ou ne devrions-nous pas ? Bien, allons voter… » La vérité devient un processus démocratique, et qui est vraiment étranger à la tradition Islamique. Donc, l’idée que la vérité est quelque chose qui se transmet de génération en génération n’est plus acceptable dans le discours social dominant. Ceci concerne aussi les Musulmans qui ont été (transmetteur de) la vérité, parce que le Prophète Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam] a dit que cette connaissance, c’est-à-dire la vérité/révélation, sera portée chaque génération par des hommes intègres et transmise à la génération suivante. Donc, les Musulmans ont toujours considéré que la connaissance est une transmission, depuis la poitrine de ceux qui savent vers les cœurs de ceux qui ne savent pas.

Beaucoup de sœurs souhaitent voyager vers des pays Musulmans afin d’apprendre le Deen auprès de ceux qui savent, mais elles sont préoccupées par la question du fait de voyager sans Mahram.

Tout d’abord, vivant dans les pays non-Musulmans – il est admis dans la Shari’ah que si une femme fait la Hijrah d’une terre des non-Musulmans à une terre des Musulmans, elle n’a pas besoin d’un Mahram – c’est un principe bien connu dans la jurisprudence Islamique. La façon dont je perçois cela, c’est que (d’après moi) la femme est plus en sécurité sans Mahram dans la terre des Musulmans qu’elle ne l’est avec un Mahram dans la terre des non-Musulmans.

Dans quelle mesure une femme, mariée ou non, peut-elle s’initier auprès d’un Sheykh, tout en restant dans les limites de la Shari’ah?

Traditionnellement, les femmes étudient avec des enseignants, il convient juste que cela soit fait avec adaab (bonnes manières). Il y a évidemment plus de restrictions pour la femme, le Coran stipule que le garçon n’est pas comme la fille. C’est évidemment mieux et plus pratique si une femme apprend d’une femme Sheykh, et il y en avait (au préalable) un nombre considérable dans la Ummah Islamique. Désormais il n’y en a pas plus et il est même assez rare maintenant de trouver un enseignant masculin qui soit d’un grand calibre. Trouver une femme Sheykh est devenu une anomalie dans le monde Musulman actuel.

En ce qui concerne la Shari’ah, pourquoi pensez-vous que les règles régissant les transactions concernant le commerce/industrie/entreprise ont été quasiment abandonnées par les Musulmans?

Parce que nous sommes devenus complètement soumis à l’ordre mondial dominant, l’ordre mondial capitaliste, Occidental. Ainsi, le droit international est désormais le droit Occidental, c’est l’histoire, il suffit de lire ce qui s’est passé dans le 19ème siècle avec l’abdication de la Loi Islamique et son usurpation par le système juridique Occidental – avec (parfois) quelques regroupements comme dans le droit Anglo-Mohammadien, où les questions personnelles (par exemple, l’héritage et le mariage) ont été laissées à la portée de la tradition Islamique, mais les questions relatives aux activités commerciales et au Code pénal sont passées sous la juridiction de la loi laïque Occidentale.

Dans la Muwatta de l’Imam Malik (RA), il y a une place importante pour le « Aml de Médine » [8]. Quelle est la différence entre ceci et le Hadith?

Dans sa structure, l’Imam Malik (RA) voit que Médine a un statut unique que d’autres villes n’ont pas à l’époque des Tabi’een, parce que les Tabi’een étaient des gens qui vivaient avec les Sahabah. Il y a plus de 10.000 Sahabah enterrés à Baqia, décédés à Médine. L’Imam Malik (RA) dit que cette ville était une ville qui avait une place particulière en Islam, statut qu’aucune autre ville n’avait – même la Mecque – parce que Médine c’est la ville dans laquelle le système juridique Islamique et l’ordre social Islamique étaient entièrement appliqués. Pour cette raison, il est en quelque sorte un héritier d’une expression sociale de l’intégralité de l’enseignement Islamique. Par conséquent, ce qu’il a consigné que dans la « Muwatta » est dans un sens un enregistrement de ce qu’il considérerait comme une ville en Soumission, et c’est pourquoi il a dit que s’il trouvait un Hadith isolé, qui ne soit pas Muttawatir [9] avec une ou deux chaînes parmi les Sahabah et qu’il trouvait (en parallèle) 1000 personnes de Science parmi les Tabi’een de Médine agissant autrement, leurs actions l’emportaient sur la transmission isolée du Hadith. Le fait qu’ils ne suivent pas ce Hadith alors qu’ils vivaient en présence des Sahabah et que leurs actes furent probablement pratiqués en présence des Sahabah représente un élément non négligeable. Surtout que parmi ces Sahabas se trouvaient des hommes comme Ibn ‘Umar (RA) et ‘Umar ibn al-Khattab (RA) et des femmes comme ‘Aisha (RA), et que ces personnes savaient mieux que quiconque quelle était la décision Islamique finale sur la question.
Pour cette raison, l’Imam Malik prenait en considération la manière d’agir (de pratiquer) des gens de Médine – Il faut garder à l’esprit qu’en parlant des « gens de Médine », il ne désignait pas tous les habitants de la ville, mais uniquement les gens de Science dans la ville, et la ville était remplie de gens de Science (élèves des Sahabas). L’Imam Malik a estimé que l’action était (équivalente à) un Hadith, seulement dans le cas où elle avait atteint le statut de Muttawatir, c’est-à-dire qu’il fallait que dans la ville de Médine les savants se soient accordés dessus. Même s’il ne dispose pas d’une transmission verbale réelle de la question – par exemple, il existe un Hadith authentique dans lequel le Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam] a dit aux gens de ne pas jeûner le vendredi, mais dans la « Muwatta », l’Imam Malik qui connaissait le Hadith a dit : « J’ai observé que les gens de Science jeunaient dans cette ville. » – Ils ont considéré qu’il s’agissait d’un jour vertueux pour jeûner. Son argument était que s’ils pratiquaient ainsi en présence des Sahabah, et qu’aucun des Compagnons ne leur a dit de ne pas jeûner le vendredi. Le fait que cela soit transmis comme étant un bon jour pour jeûner, et que ce ne soit pas été rejeté à cause de ce Hadith, l’Imam Malik considère en conséquence que les transmissions isolées du Hadith sont plus faibles que la transmission (de la pratique) par le Aml. Il s’agit d’une divergence d’opinions, mais c’est un principe admis dans la Science des Fondements (Usul).

L’Imam ash-Shafi’i et l’Imam Abu Hanifah ne sont pas d’accord avec cela, ni l’Imam Ahmad, mais ils sont d’accord pour dire que le Aml de Médine est plus élevé (prépondérant) dans certains cas.

Avez-vous écrit / publié des œuvres?

Je suis en train de le faire – je travaille sur quelques petites choses. J’ai publié quelques articles et des choses de ce genre.

Il y a des Musulmans qui disent que nous ne devrions pas utiliser le terme « Sayyidina » pour le Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam]. S’agit-il d’une exagération dans l’amour qu’on lui porte?

Le Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam] a dit dans un Hadith authentique : « Je suis le Maître (Sayyid) des enfants d’Adam », de sorte qu’il est notre Sayyid que cela plaise ou non. Allâh Ta’ala fait l’éloge de Yahya (‘alayhi salaam) dans le Qour’an en l’appelant « Sayyidan wa Hasoora, ». Yahya est donc cité comme un Sayyid dans le Qour’an et notre Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam] est certainement plus important que Yahya (‘alayhi salaam). « Sayyid » signifie Maître en langue arabe, et il est notre Maître.

Vous ne devriez pas dire Sayyidina dans la prière Fard (obligatoire) quand vous faites le Tahiyya – il existe une opinion selon laquelle c’est possible, mais c’est une opinion faible. Mais quand on parle du Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam], nous devons l’appeler le Messager d’Allâh, le Prophète d’Allâh ou nous devons l’appeler Sayyidina. Nous ne devons pas nous contenter de dire Muhammad [salallâhou ‘alayhi wassalaam] sans en mettre un titre honorifique devant son nom. Une des choses que pointe le Qadi ‘Iyad dans ash-Shifah est qu’Allâh (swt) nomme toujours dans le Qour’an, Ses Prophètes par des titres honorifiques, comme « Ya Ayohal Muzzamill », « Ya Sin », etc. Ceci fait partie de l’adaab des Musulmans.

En ce qui concerne le fait de trop aimer le Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam], ça n’a vraiment aucun sens [10]. Il est le moyen par lequel nous avons appris à connaître Allâh. Le hadith dit : « Celui qui n’a pas remercié les gens n’a pas remercié Allâh ». C’est pourquoi un respect maximum est dû aux parents, parce qu’ils sont le moyen par lequel la vie vous a été donnée. Même si c’est Allâh (swt) qui vous a donné la vie, Allâh a ordonné que vous honoriez vos parents d’une manière qui n’a été donnée à personne d’autre dans le Qour’an, ce statut élevé leur étant réservé – après Allâh et Son Messager [salallâhou ‘alayhi wassalaam], le statut élevé est donné aux parents en termes d’obéissance, donc après l’obéissance à Allâh et à Son messager (qui est obéissant à Allâh), la chose la plus élevée ce sont les parents.

Le Prophète [salallâhou ‘alayhi wassalaam] a dit : « Aucun d’entre vous n’est vraiment croyant tant qu’il ne m’aime pas plus que sa propre personne. » Et donc, si vous aimez le Messager d’Allâh [salallâhou ‘alayhi wassalaam] moins que vous vous aimez vous-même, alors vous n’avez pas le vrai Iman (Foi). Et si vous aimez le Messager d’Allâh [salallâhou ‘alayhi wassalaam] moins que vous aimez vos parents ou vos enfants, alors vous n’avez pas non plus le vrai Iman.

Beaucoup de gens se posent des questions sur l’Institut Zaytuna comme par ex. les raisons pour lesquelles vous avez décidé de le fonder et quels sont les objectifs visés?

Zaytuna est juste un véhicule pour réaliser le travail que je fais. Pour moi, les institutions ne veulent pas dire grand-chose. En fin de compte, les institutions ne sont rien d’autre que les personnes qui les dirigent. Je pense que l’important pour nous est de se rappeler que finalement nous sommes tous mortels et que notre temps est limité, de sorte que les meilleures actions sont celles qui perdurent. Mon espoir est que ce travail se poursuivra après ma vie. Le travail n’est rien d’autre que d’essayer d’enseigner le message de l’Islam. D’établir des institutions qui garantissent la continuité, cela fait partie de notre tradition. Ceci à pour but de s’assurer que les traditions de l’Islam seront maintenues de génération en génération. C’est ma petite contribution à l’image globale. Ce dont le monde Musulman à besoin, c’est que les Musulmans se prennent en charge eux-mêmes, au niveau personnel, pour le maintien de la tradition, et cela doit avoir lieu. Ce n’est pas la tâche d’un seul individu, mais la tâche d’une Ummah. Mais une Ummah n’est rien d’autre que les individus qui la composent. Les Musulmans doivent reconnaître que notre tradition est en train de disparaître, et qu’il doit y avoir des efforts d’entrepris pour relancer l’apprentissage à un niveau supérieur.

Qu’en est-il du cours « Rihla » ?

Le « Rihla » (sessions de cours intensifs) est une tentative de plus de faire ce qui précède. Ce que nous espérons, c’est un véritable modèle de Madrassa (à temps plein), mais pour le moment cela consiste en un programme d’été d’un mois.

Le problème est que les Musulmans sont tombés dans l’approche Occidentale – qui est l’approche de la conférence. Nous organisons des conférences, mais les conférences ne durent que quelques jours et sont constituées de discours en un sens ne sont pas tellement instructifs et il n’y a pas une vraie transmission des connaissances, c’est plutôt une sorte de narration du récit qui n’est pas propice à la transmission du savoir Islamique. La connaissance Islamique s’acquiert en s’asseyant aux pieds de personnes, qui se sont assises aux pieds de personnes, et ce, jusqu’au Messager d’Allâh [salallâhou ‘alayhi wassalaam]. […]

Quels livres lisez-vous actuellement?

Saffwat at-Tafsir de Muhammad Ali Sabooni et aussi The Venture of Islam de Marshall Hodgkin.

Notes :

[1] Interview réalisée en 1998 par Fauzia Malik pour Qalam international.
[2]
Bon comportement ou bonnes manières ou convenances
[3]
Le lieu
[4]
En rapport avec le dajjal, le faux messie, l’imposteur.
[5]
Lire à ce sujet notre article intitulé : La Science Sacrée peut-elle s’obtenir simplement à partir des livres?
[6]
D’après Abî Umayyah Al-Djumhi : « Le Messager d’Allâh [salallâhou ‘alayhi wassalaam] a dit : « inna min achrati-s-sâ’ah an yultamis al-‘ilm ‘inda-l-asâghir.- Il est parmi les signes de [la survenance de] l’Heure [le fait] que la science soit prise des petits [en science]. » Hadith rapporté par At-Tabarânî, cité dans « sahîh al-djâmi’ » sous le n° 2207.
[7]
Un métarécit est un récit dans le récit
[8]
L’avis des gens (savants) de Médine
[9]
Un Hadith qui a plusieurs transmissions
[10]
Sheykh Hamza Yusuf indique ici qu’il est permis d’aimer le Prophète outre mesure … c’est-à-dire que l’aimer de manière intense et profonde ne peut jamais être du shirk, peu importe combien vous l’aimez …